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Avec un titre en clin d'œil au classique “Mahomet et Charlemagne” d'Henri Pirenne (1937), cet ouvrage limite son champ aux relations des Francs avec l'Espagne aux VIIIe et IXe siècles. Au nord, le royaume franc de Charles Martel et Pépin le Bref, de Charlemagne empereur d'Occident, de son successeur Louis le Pieux, puis Charles le Chauve pour la Francia occidentalis. Au sud, le pouvoir omeyyade de Cordoue, celui des émirs d'al-Andalus, indépendants de Damas à partir de 756 (liste page 276). Émanant de chroniqueurs arabes et chrétiens (Annales de Saint-Bertin, Chronique de Moissac...), les sources dans leur rareté ne permettent pas d'établir autant de certitudes que l'on voudrait. Une bibliographie très fournie permettra cependant d'approfondir l'étude.

 

• Une première partie — Conquêtes musulmanes et ripostes franques — s'étend de 711 à 768, avant Charlemagne donc ; il s'agit de stopper l'avancée en Gaule des émirs venant d'Espagne où ils ont succédé au pouvoir wisigothique. Tandis que face aux Byzantins, les troupes omeyyades échouaient devant Constantinople en 718, les musulmans s'installaient dans le sud de la Gaule après avoir pris Saragosse en 714, Narbonne en 719, Toulouse en 721, et un raid sur Lyon en 726.
 
La bataille de Poitiers est réputée donner un coup d'arrêt à l'invasion des Sarrasins : une date précise — le samedi 27 octobre 732 — mais une localisation très incertaine. L'émir Abd al-Rahman al-Ghâfiqi y trouva la mort et ses troupes se replièrent. Dans les années suivantes, Charles Martel s'avança en Septimanie et chassa plus ou moins les musulmans de la Narbonnaise. Cette bataille a été érigée en icône du grand récit national par les historiens du début du XIX° siècle, notamment en pendant de la conquête d'Alger en 1830, comme le remarque Philippe Sénac. Pourtant des batailles pour le contrôle de Narbonne auraient aussi bien pu devenir des dates-clés.
 
 
 
• La seconde partie traite de l'époque de Charlemagne (768-814). Les Francs tentent de passer les Pyrénées et s'implantent dans ce qui deviendra la Catalogne et qu'on appelle la Marche d'Espagne. Un événement émerge des premières années du règne de Charles : la légendaire défaite de Roncevaux (778) où son armée tombe dans l'embuscade au retour d'une expédition contre Pampelune. Plus tard, les Francs reviendront se battre pour Saragosse, en vain, et pour Barcelone. Ces opérations se font en relation avec le royaume chrétien des Asturies à l'ouest, et dans le bassin de l'Èbre avec des chefs maures soulevés contre le pouvoir de Cordoue. En attaquant le pouvoir omeyyade d'al-Andalus opposé aux Abbassides de Damas, Charlemagne fait ce qu'on appellera plus tard de la Realpolitik puisque les Abbassides de leur côté fixent l'attention de l'empire byzantin loin de l'Italie, région stratégique pour l'empereur couronné à Rome en décembre 800.
 
• La troisième partie conduit de 814 à 877 année de la mort de Charles le Chauve se rendant en Italie avec une armée. Au sud des Pyrénées, les opérations militaires étaient alors plutôt le fait des comtes, ou de chefs locaux révoltés, tandis que des missions diplomatiques s'échangeaient entre Charles le Chauve et le souverain de Cordoue, Abd al-Rahmân II puis Muhammad Ier : une trêve se conclut. Les comtes de la Marche d'Espagne sont assez généralement en paix avec le califat de Cordoue — jusqu'au raid d'al-Mansûr contre Barcelone en juillet 985. L'Italie est désormais une préoccupation plus importante pour le pouvoir carolingien après 814, à cause la “piraterie sarrasine”, autrement dit les expéditions navales des Maures qui après avoir attaqué les Baléares (798), la Corse (809), s'en prennent au littoral provençal, aux côtes de la péninsule, à la Sardaigne, puis à la Sicile. Sans oublier la perturbation générale due aux raids normands.
 
• Si l'ouvrage est principalement chronologique : actions militaires, missions diplomatiques, il aborde plus rapidement d'autres domaines. L'installation de colons (les Hispani) sur les terres reconquises de part et d'autre de la chaîne, se fait dans le cadre de contrats d'aprision : au bout de trente ans d'exploitation, la terre revient en pleine propriété à l'aprisionnaire. L'analyse des modestes trouvailles monétaires au nord comme au sud des Pyrénées ne permet pas de conclure à une grande importance des échanges commerciaux. Toutefois, on soulignera le commerce des esclaves ; ainsi le concile de Meaux en 845 condamne-t-il les marchands juifs qui se rendent en terre musulmane pour vendre des esclaves sans doute slaves. On remarque au passage plusieurs voyages à grande distance — via les routes romaines — qu'il s'agisse des missions diplomatiques des représentants omeyyades jusqu'à la cour d'Aix-la-chapelle, occasion d'échanges de cadeaux (un élephant offert à l'empereur) ou des moines de Saint-Germain-des-Prés venus en 858 à Cordoue et Tolède en quête de reliques.
 
• Il est aisé de conclure que les conflits de ce temps ne relèvent pas de l'affrontement entre chrétienté et islam. L'auteur reprend la formule de Jean Fiori selon qui à cette date les Sarrasins furent perçus en Gaule comme « des ennemis ordinaires, des envahisseurs comme les autres, à combattre comme tels ». Philippe Sénac conclut que le conflit changera progressivement de nature pour aboutir à l'idée de guerre sainte quand la menace pèsera plus directement sur Rome.
 
 
• Philippe Sénac. Charlemagne et Mahomet. En Espagne (VIIIe-IXe siècles). Folio Histoire, 2015, 437 pages.
 
 
Tag(s) : #HISTOIRE MOYEN AGE, #FRANCE, #ESPAGNE
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