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Malgré la magistrale synthèse de Guy Bechtel La Sorcière et l'Occident (1997), difficile d'oublier les travaux anciens de Carlo Ginzburg. Nous avons déjà expliqué l'intérêt de ses Batailles nocturnes (1966) dont les héros étaient les benandanti du Frioul. Le professeur de l'université de Pise avait complété ses recherches d'où Le Sabbat des sorcières (1989) dont voici l'édition de poche française augmentée d'une postface (2022).

 

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Pour qui s'intéresse explicitement à l'histoire des sorcières et de leur persécution en Europe du XIVe au XVIIIe siècle, cet ouvrage présente une originalité, très appréciable, qui forme la première partie du livre (pages 61 à 132). Il répond en effet à une question précise : pourquoi commence-t-on à combattre et persécuter les sorciers et sorcières dans la seconde moitié du XIVe siècle ? Il apparaît ainsi que les affaires de sorcellerie n'ont éclaté qu'après une série de prétendus complots datant d'avant le choc déstabilisant de la Peste Noire.

Longtemps après les hérétiques brûlés à Orléans en 1022, après les cathares, après les vaudois et les fraticelles, vinrent en 1320-22 les accusations portées contre les lépreux : dans plusieurs villes de France et notamment Périgueux et Carcassonne, ils furent accusés de vouloir empoisonner les biens portants, pour prendre le pouvoir, en s'associant aux juifs et aux musulmans de péninsule ibérique.

 

Suite à l'édit royal du 21 juin 1321, pris à Poitiers, les lépreux ont été condamnés au bûcher ici et là. Une fausse accusation fut même transmise au pape par Philippe de Valois qui parallèlement rançonna les juifs de son royaume de 150 000 livres. Cela n'empêcha pas le successeur de Philippe de Valois, Charles IV, d'expulser les juifs du royaume de France par une décision du 27 août 1323. Reste que le tournant de l'accusation des lépreux aurait été décisif.

 

Quand arriva la Peste Noire, la foule s'en prit aussi aux marginaux et aux juifs, par exemple avec l'attaque du ghetto de Toulon en avril 1348, et le trouble gagna la Provence et la Catalogne. Les juifs étaient accusés de diffuser la peste, particulièrement dans les régions de l'ouest des Alpes, Dauphiné, Savoie, Suisse. Surtout, l'accusation se déplaça vers la « secte » des sorciers : le « stéréotype hostile » se trouva une nouvelle formulation avec « l'image de la cérémonie nocturne au cours de laquelle sorcières et sorciers anthropophages se livraient à des orgies sexuelles effrénées, dévoraient des enfants et prêtaient hommage au démon qui prenait la forme d'une animal. »

 

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Mais Carlo Ginzburg avait une autre intention en écrivant cet ouvrage. « Nous étions partis d'un événement, l'émergence dans les Alpes occidentales, au cours de la seconde moitié du XIVe siècle, de l'image du sabbat. La tentative d'en déchiffrer les composantes folkloriques nous a conduit très loin dans l'espace comme dans le temps… » écrit l'historien au début de sa conclusion. C'est ainsi que les deuxième et troisième parties de cet essai exploitent des éléments récurrents des récits de sabbat, notamment les témoignages des benandanti  — tels que le voyage rêvé durant l'extase, la présence d'une déesse présidant au sabbat, les combats menés en pleine état extatique — et recherchent la présence de formes comparables dans les mythes anciens, notamment de l'Antiquité grecque, et dans la culture chamanique. L'auteur prétend alors découvrir un substrat suffisamment répandu pour apparaître dans les récits des sorciers et sorcières devant les inquisiteurs en plus des confessions sataniques usuelles attendues par eux depuis la diffusion d'une littérature démonologique, tel le Formicarius de Johannes Nider (Bâle, 1437). Les amateurs d'histoire resteront sans doute dubitatifs devant cet étalage d'érudition et cette construction intellectuelle assez hypothétique dont on peut se demander si elle fait avancer la connaissance de la vague de sorcellerie que connut l'Europe. En revanche les lecteurs curieux de mythologies y trouveront leur compte.

 

Carlo Ginzburg : Le Sabbat des sorcières. Traduit de l'italien par Monique Aymard et Martin Rueff. Gallimard, 1992 et Folio histoire 2022, 688 pages. (L'illustration de couverture est un extrait du Sabbat des sorcières d'Hans Baldung Grien, 1514).

 

 

 

Tag(s) : #HISTOIRE MOYEN AGE
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