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François Bégaudeau convoque deux situations énonciatives pour « raconter la vie » d’Isabelle, infirmière en milieu hospitalier. Son histoire familiale permet de mieux comprendre son engagement professionnel. Les nombreux termes médicaux très spécialisés confèrent à ces pages la crédibilité d’un vécu immersif. F. Bégaudeau se fait l’écho des difficultés économiques et humaines que traverse l’hôpital en France. Mais ce qui retient l’attention, c’est le portrait de cette infirmière toujours soucieuse de « viser le moindre mal » pour chaque patient, de soulager au mieux les souffrances, même si la solidarité entre collègues diminue, faute de temps. L’auteur ne choisit pas la neutralité objective et ne s’interdit ni l’ironie, ni les jugements personnels.

 

C’est la mort de son père qui révèle à Isabelle sa « vocation » : en soignant les malades, elle soignera son père à jamais. Dans les hôpitaux de la région parisienne, elle a soif d’apprendre les gestes très techniques et délicats, comme de changer la canule d’un trachéotomisé. L’ennui la gagne dès qu’elle les maîtrise ; elle change alors de service. Elle change d’air aussi, et trouve un poste à Figeac, en maison de retraite médicalisée : une EHPAD.

Elle s’oppose à l’euthanasie car « quand tout est perdu, on ne peut jamais être sûr qu’il n’y a plus rien à perdre » . Très vite, Isabelle est confrontée aux transformations du milieu hospitalier. Mise en oeuvre d’abord dans le privé, la flexibilité gagne le public en 2010 : trois jours de travail, deux de repos, des journées de douze heures. La « logique comptable » impose suppressions de postes, fermeture d’établissements, réduction de l’enveloppe annuelle pour beaucoup, surtout multiplication des actes « qui rapportent le plus » : chirurgie ambulatoire, imagerie, diabète chronique. Le personnel en vient à « mieux travailler moins bien » : triste et éloquent paradoxe! Mal aux pieds, au dos, angoisse du timing qui empêche de prendre du temps avec des malades de plus en plus exigeants… Isabelle doit aussi supporter le mépris de certains médecins pour qui elle reste « une inférieure » qui ne doit pas prétendre établir un diagnostic, « car le diagnostic est la prérogative du médecin ». Toujours absents l’après-midi, ces praticiens ne visitent les malades qu’à partir de dix-huit heures, et certains à raison de six minutes par patient. Être peu accessible et écrire mal serait-il le signe de leur grande expertise? F. Bégaudeau le pense.

Depuis 2013 le métier d’infirmière en hôpital requiert dévouement et oubli de soi comme autrefois les religieuses, sans plus de considération. Pourtant Isabelle n’envisage pas de se reconvertir. Prendre soin des souffrants, quels qu’ils soient, donne sens à sa vie : un bel exemple d’humanité généreuse !

Toutefois, on reste dubitatif devant cette remarque de l’auteur à deux reprises : « Sur les quinze patients du jour, aucun n’est noir ou arabe » ? Ces populations non-européennes poseraient-elles plus de problèmes au personnel hospitalier? On n’ose imaginer un certain sous-texte…

 

• François Bégaudeau. Le moindre mal. Seuil, 2014, 73 pages. Raconter la vie.

Chroniqué par Kate

 

Tag(s) : #SOCIETE, #RACONTER LA VIE
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