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Dans l'univers tragi-comique de Robert Menasse, j'avais déjà rencontré avec plaisir Leo Singer et ses tribulations philosophiques et sentimentales entre Vienne et São Paulo. Pour ce retour en Autriche, le patronyme Singer est porté par Hannah, la psychanalyste à qui le “héros” raconte sa vie d'avant ; il vient de vivre neuf années d'un second mariage avec Beate, brillante et froide cadre d'entreprise, mais sa maîtresse Christa, spécialiste de mythologie grecque, a plein d'idées pour pimenter sa vie intime.

 

« Je faisais confiance à Mme Singer. Je me disais qu'elle me convenait. Parce que je la considérais comme une charlatane. Parce que les concepts psychanalytiques qu'elle maniait me rappelaient les cocktails new-yorkais. Et parce qu'elle était grosse et autoritaire. (…) Je lui racontais mes liaisons comme un petit garçon confesse à sa mère qu'il a fait une bêtise. »

 

Et donc Nathan raconte ses succès ou plutôt ses échecs : Alice, Anne, Barbara, Helga, Martina et les autres ont précédé Beate. Dans la foulée, Nathan évoque aussi les liaisons de son père, journaliste mondain, qui lui a ouvert les portes du quotidien : « lui il savait jouir ». Recadré par la thérapeute, Nathan ajoute les aventures de sa mère qui, une fois divorcée, additionna les amants dans des liaisons tragi-comiques. La section sur les amants de la mère est l'un des temps forts du roman! « Elle avait beaucoup de prétendants mais aucun n'était un modèle. » Le premier dont Nathan se souvient était surnommé Killer : il est mort assassiné dans une rixe. Le second c'était Philipp le moniteur d'équitation : il est mort d'une chute de cheval en percutant un tramway. Le troisième, Hollmann, mourut d'un accident de voiture — et il n'était pas drôle du tout. Tous ces récits sont conduits avec un grand sens de l' humour...

 

Au journal, par exemple, un relooking transforme la section "Vie" en section "Life Style" et conduit au licenciement de Nathan qui laisse son fauteuil à son vieux rival Frank : moins de texte, plus de photo, un style plus jeune pour séduire les lecteurs seniors, les autres n'achetant pas de journal.

 

Menasse égratigne au passage le mariage, le féminisme et la libération sexuelle, l'université et les étudiants gauchistes aveuglés par la bande à Baader, sans oublier la psychanalyse, spécialité viennoise au même titre que les pâtisseries. Comment comprendre le titre du roman ? Le narrateur, Nathan, est glissé dans la peau d'un Don Juan aux mille et trois conquêtes mais comme pour Don Quichotte de la Manche la part de l'imaginaire dans ses récits épatants est primordiale. Nathan avoue à son amie Christa que la thérapeute croit tout ce qu'il lui raconte. « Nathan, nous ne faisons pas un travail freudien classique » mais « un reportage sur le voyage qui vous a amené au point où vous n'éprouvez plus de désir ». Malgré les efforts répétés de Christa. Un livre réjouissant.

 

Robert Menasse. Don Juan de la Manche. Traduit de l'allemand par Barbara Fontaine. Verdier, 2011, 215 pages. (Suhrkampf, 2008).

 

Tag(s) : #LITTERATURE ALLEMANDE
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