L’essayiste Olivier Babeau, professeur à l’université de Bordeaux, brise un tabou en prétendant que « les inégalités sociales se créent et se maintiennent au creux du temps libre ». À travers une étude historique très documentée il montre l’évolution du temps de travail depuis les sociétés de chasseurs-cueilleurs jusqu'au XXIe siècle : 4000 heures par an au 19e siècle, 1400 aujourd’hui. Nous avons de plus en plus de temps libre et nous ne sommes pas préparés à en tirer profit.
L’auteur distingue trois façons de l’occuper : l’une consacrée aux autres, à la sociabilité ; la seconde dévolue à soi pour se cultiver, se perfectionner. À ces deux temps de loisir enrichissants s’oppose le temps du divertissement, du loisir hors de soi au sens pascalien : un temps stérile où l’on s’oublie. « Chacune de ces trois formes est indispensable » mais « le divertissement a établi une domination hégémonique sur nos loisirs ». Écrans, jeux vidéo, réseaux sociaux : autant de drogues contre l’ennui qui procurent un plaisir immédiat mais infécond. Certes on ne vit pas tous cette inflation du temps libre de la même manière : certains s’adonnent au divertissement, d’autres s’efforcent d’acquérir culture et compétences. Car notre monde de plus en plus complexe en exige toujours davantage et cette accumulation cognitive se construit d’abord dans le temps libre : on découvre le goût de l’effort pour apprendre une langue, maîtriser un instrument ou faire du sport. Ainsi le temps libre nous enrichit car il ne procure pas un plaisir immédiat, à l’inverse du divertissement qui n’invite pas à l’effort. Selon Olivier Babeau les inégalités sociales prennent racine dans le niveau de compétences cognitive ; or, pour une partie de la population le temps de loisir se limite au divertissement. En conséquence l’école échoue à corriger les inégalités des enfants qui n’ont pas acquis par le loisir familial le sens de l’effort et la procrastination du plaisir. Certes l’effort et le mérite ne sont pas l’apanage des classes aisées ; et à l’inverse celles-ci peuvent aussi consommer à l’excès du divertissement. L ‘auteur souligne qu’il ne suffit pas d’être bon élève pour réussir, encore faut-il avoir acquis des compétences grâce à des activités extra-curriculaires qui, par exemple, font la différence entre les étudiants sur Parcoursup.
« Plus grande est la maîtrise de soi, plus grande est la réussite » rappelle l’auteur. Il faut donc « en finir avec la tyrannie du divertissement » dont les conséquences sont inquiétantes tant au niveau individuel que national. La Chine par exemple limite et encadre le temps libre des enfants et performe mieux que les pays occidentaux.
Cet essai stimulant, à contre-courant des idées reçues, donne à réfléchir. Parents veillez sur le temps libre de vos enfants ! Du divertissement certes, mais point trop n’en faut !
• Olivier Babeau. La tyrannie du divertissement. Ne laissez pas les loisirs gâcher votre vie et celle de vos enfants. Buchet-Chastel, 2023, 283 pages.
Chroniqué par Kate