Max Frisch : La Grande Muraille

Avec ce titre, on part pour la Chine — mais pas celle d'aujourd'hui ! Nous sommes sous le règne de l'empereur Wang Ti (秦始皇帝 ou Qín Shǐ huáng di) : il vient de battre les barbares et de décider de la construire cette fichue grande muraille. Emporté par son élan, il accorde la main de sa fille Mee Lan au général victorieux qu'est le Prince Wu. Il a invité plein d'étrangers célèbres pour fêter sa victoire. Jusque là ça tient debout.

Les invités célèbres sont des gloires de… diverses époques : Napoléon Bonaparte et Philippe II, Ponce Pilate et Christophe Colomb, Brutus et Cléopâtre en déshabillé. On a refusé Hitler : trop mal habillé. Il y a aussi l'Homme d'aujourd'hui qui parle de bombe atomique menaçant de faire périr l'humanité et évidemment les autres n'y comprennent rien. Têtu comme un Corse, Napoléon veut emmener tout le monde à Moscou. Roméo et Juliette, qu'un rien contente, chantent de fort jolies choses en vers.

On l'aura compris, c'est le théâtre de l'absurde.

L'empereur fait arrêter un jeune homme muet qui est pris pour Min Ko, la Voix du Peuple ! On le torture malgré les belles paroles de l'Homme d'aujourd'hui qui semble plaire à la princesse plus que le vaillant soldat que son père lui a choisi. Schéma classique.

Inconscient du danger, l'Homme d'aujourd'hui drague la fille de l'empereur :

— Moi, je suis un intellectuel. (Il boit du thé) Délicieux, ce thé... Certes, à maintes reprises, nous nous sommes pris pour la Voix du Peuple, nous autres intellectuels. A commencer par votre maître, Confucius.

— Tu connais Confucius ? 

Pendant ce temps le peuple opprimé se soulève, et le vaillant prince Wu lui ouvre les portes du palais pour se venger tandis qu'on entend des tirs d'armes automatiques. Un changement de dynastie est en vue.

On dirait du Brecht, mais en moins bien. Ça date de 1947.

• Max Frisch. La Grande Muraille. Adapté en français par Arthur Adamov. Gallimard, collection Théâtre du monde entier, 1969. 110 pages.