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Vingt auteurs tunisiens – poètes, romanciers, essayistes – dont neuf femmes, évoquent chacun leur enfance. Une dizaine a quitté la Tunisie, d'autres vivent toujours entre les deux rives de la Méditerranée ; certains naquirent dans les années 30, d'autres voici trente ans à peine. La diversité de ces témoignages construit une image plurielle de la Tunisie ; car en se remémorant un souvenir fondateur, chacun des auteurs livre l'image subjective de "sa" Tunisie natale. Toutefois, quelques similitudes émergent.

Qu'ils soient nés à Tunis ou en province, les auteurs disent peu la ville, ses cinémas, ses magasins. Au Enfances-tunis.jpegregret de la Tunis d'avant-guerre sous la plume de Lucette Valensi –ses ânes, ses chevaux – répond surtout le souvenir de "la mer mêlée au soleil", l'été, à La Goulette. Tous gardent présents la senteur des plantes, le goût des épices, la merveilleuse cuisine de leurs mères et grand-mères, fortes figures de ces enfances faites de liberté, d'amitié entre communautés de toutes croyances : un continent à jamais englouti pour beaucoup... Pour la grande majorité, l'école, la découverte des mots et des romans en français constitue le souvenir clé, douloureux et irremplaçable, à l'origine de leurs vocations d'écrivains. Nombre d'entre elles portent le stigmate d'une révélation plus ou moins brutale du monde extérieur. C'est, dans le Monastir hors temps d'avant guerre, l'irruption d'un étrange étranger – un arabe chrétien–, puis l'indépendance, qui ont ouvert les yeux de Guy Sitbon sur le monde ;  le débarquement allemand, puis la colonisation, la confrontation brutale aux occidentaux ont poussé Abdelaziz Kacem à se réfugier dans la littérature. Le plus souvent émergent des souvenirs "d'enfance écartelée entre deux mondes" dès l'école. Pris entre leur univers familial de langue arabe et le monde occidental en français, ces enfants tunisiens ont vécu une déchirure. La Maîtresse les amenait à mettre en question leur culture inégalitaire – l'autoritarisme paternel, le mépris des filles et des épouses – et leur donnait soif d'émancipation en découvrant les valeurs européennes de liberté et d'égalité : Bourguiba, le héros de l'indépendance, portait leurs espoirs et ceux de leurs parents. Ces jeunes ont cru à la force des mots – mots" bonbons" d'Ali Bécheur – pour changer le monde. L'expérience de l'injustice fut parfois à l'origine des engagements futurs. Alors qu'un petit cireur nettoyait ses souliers, Jean-Pierre Santini a pris conscience de la domination sociale : de là son combat pour la justice ; battue par ses camarades de classe en Allemagne, Hélé Béji a découvert le racisme : de là son engagement pour la justice et la tolérance.

La majorité des auteurs a vécu dès la petite enfance la rencontre de l'autre et la confrontation à sa double appartenance, dans l'exil souvent, à l'école toujours : celle-ci fut à la fois une souffrance et le ferment de leur vocation. Tous ont choisi l'écriture, compensation nostalgique et arme de combat. Elle seule leur a permis d'arracher à l'oubli leur enfance et leur terre natale : une terre chaleureuse, généreuse, meurtrie par l'histoire, revivifiée grâce au regretté Bourguiba. Une terre toujours en lutte pour la liberté. Grand merci aux éditions Elyzad de nous donner à connaître et à découvrir ces auteurs tunisiens.

Enfances tunisiennes. Textes inédits recueillis par Sophie Bessis et Leïla Sebbar. Elyzad, Tunis, 2010, 234 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #TUNISIE
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