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Prix Fémina étranger 2010

L'originalité de ce roman se remarque d'emblée dans ses titres de chapitre. Exemples : "La photo que Zara tient de sa grand-mère" ou "Le soir venu la peur rentre à la maison". Les titres toujours précédés d'une date. Ce procédé renforce le sentiment de lire une enquête sans compter les "pièces à conviction" que sont les notes laissées par le paysan Hans Pekk.

On découvre peu à peu les multiples dimensions de cette remarquable œuvre littéraire de Sofi Oksanen qui est déjà une star en Finlande. Roman historique, roman d'amour, roman policier aussi. Car les parcours individuels sont parsemés de plusieurs meurtres — mais chut !!! — la saga familiale peut être aussi tragique que la grande histoire.

1992, un village dépeuplé de l'Estonie. Pour commencer on fera connaissance d'Aliide Truu une Oksanen-Purgevieille paysanne attentive aux ressources de son jardin et aux vertus des plantes. Les unes requinquent, d'autres sont capables de faire perdre conscience ; une pièce de la ferme leur est consacrée. L'auteur porte notre attention sur les odeurs de cuisine. On prépare des concombres arômatisés au raifort, on conserve des champignons, on élabore du pain d'épice au sirop de betterave... Par crainte des voleurs, et des « poivrots du village », Aliide cache un vieux revolver dans un tiroir de la cuisine.

Il n'est pas très facile de rendre compte de ce roman à la construction parfaite sans risquer d'en dire trop et pas assez à la fois. Cela tient à deux de ses qualités : d'une part une intrigue qui inclut un bon nombre de rebondissements et d'autre part une narration qui avance en parallèle dans deux périodes temporelles. Le roman explore la vie d'une famille estonienne depuis les années 1930 jusqu'aux années 1990. Au cas où le lecteur français ne serait pas familier de l'Estonie ni de ses relations avec la Russie, une carte et une chronologie viennent en renfort...

Pour mieux profiter de ce roman il est effectivement préférable d'en saisir la toile de fond historique : l'Estonie, séparée de l'empire russe suite à la Révolution de 1917, est victime en 1939 du partage de l'Europe orientale entre les dictateurs : les troupes soviétiques s'y établissent. Mais dès juin 1941 l'opération Barbarossa lancée par le Reich chasse d'Estonie les soldats de l'Armée rouge. Ceux-ci reviennent en vainqueurs en 1944 alors que certains, tel l'agriculteur Hans Pekk, avaient fait le choix de collaborer avec les Allemands. Quand le retour du communisme impose après 1945 la collectivisation de ses terres, Hans Pekk prend le maquis avec d'autres opposants estoniens. Le pouvoir soviétique est prêt à tout pour écraser les fibres nationalistes des Baltes : d'où le titre "Purge".  

L'activité de résistance pouvait valoir à Hans « la peine de mort ou, au mieux, de longues années de Sibérie » et retomber cruellement sur la famille et les parents. À ce moment la situation de sa femme Ingel et de sa belle-sœur Aliide était délicate d'autant plus que « La milice du village aimait la chair fraîche.» Les deux sœurs pourront-elles rester soudées face à l'évolution de leur petit monde ? Il y a d'un côté le sort de la jolie Ingel et de sa fille Linda . Il y a de l'autre Aliide, amoureuse de son beau-frère mais, par raison — en fait par calcul — bientôt mariée au communiste Martin. « Ingel disait qu'Aliide s'était mise à puer le Russe. La même odeur que les gens qui avaient fait leur apparition à la gare, assis parmi tous leurs ballots. Les trains en vomissaient sans cesse, et les nouvelles usines les avalaient.»

Les aléas de l'histoire sont de ces choses qui vous divisent diablement les familles qu'il s'agisse de la France des années noires ou de l'Amérique de la guerre de Sécession comme tant de romans l'ont montré avant les recherches des universitaires. Mais l'histoire ne s'arrête pas vers 1950. Quarante ans passent, l'empire soviétique s'effondre, les Estoniens retrouvent leur indépendance leur drapeau et leur monnaie. Que sont alors devenues les deux sœurs rivales ?

Débarque, un peu hagarde, une blonde de vingt ans qui parle russe et use d'un parler estonien quelque peu vieillot. Sa vie est déjà un roman de formation bien près de s'arrêter à la case catastrophe. C'est Zara. 

Sofi OKSANEN  :  Purge

Traduit du finnois par Sébastien Cagnoli — Stock, 2010, 400 pages.

Tag(s) : #LITTERATURE SCANDINAVE
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