Un narrateur dont l'identité n'est révélée au lecteur qu'à la fin du texte, évoque ses rencontres
avec un Levantin chauve qui a connu Alaric, le chef des Goths, le vainqueur de Rome.
« Il avait exercé des charges ; deux doigts manquaient à sa main droite…» Ce vieux magistrat est Priscus Attalus, le musicien, le joueur de lyre, élevé à Antioche, qui a joué pour Alaric et ce chef de guerre en a fait un éphémère empereur d'Occident tandis qu'Honorius s'était barricadé dans Ravenne. Plus tard, Attalus se retrouvera finir ses jours dans l'île de Lipari, là où le narrateur a passé quelques soirées en sa compagnie.
Le narrateur lui a raconté « Ravenne et sa cour frileuse » et puis « Placidia, la noiraude, l'impitoyable, qui avait usé un roi goth et un patrice des Gaules, qui aujourd'hui partageait la couche de son frère et régnait à sa place sur l'Empire d'Occident.» Et de son côté Attalus lui fait la conversation ; il lui parle d'autres soirées, passées en compagnie d'Alaric, qui avait dû être quelque chose comme la terreur des braves gens avant qu'Attila n'arrive à son tour dans l'Empire d'Occident. Le narrateur se souvient :
« Alaric buvait… Les danseuses, éberluées ou terrifiées allaient comme des somnambules ; l'une d'elles manqua un pas, se releva et éperdument tenta de reprendre le rythme, s'effondra en pleurs. Le regard d'Alaric flottait là-dessus comme celui d'un bœuf sur une prairie, avec pourtant une insolence courtoise, paisible. Le musicien stupéfait découvrit que c'était pour ce regard qu'il jouait, depuis toujours. Alaric, peut-être pour mettre fin au calvaire des danseuses, eut le désir d'entendre des vers ; on chanta encore une fois la chute de Troie, le roi menteur d'Ithaque œuvrant à sa machine perfide, le mensonge qui renverse des trônes et jette dans votre lit les reines captives…»
Joli programme ! Mais le temps passe et, Alaric mort depuis longtemps, le narrateur va à son tour livrer des batailles qui changent le cours de l'Histoire… Belle prose, travaillée, ciselée, pas faite pour les lecteurs trop pressés. Ce n'est pas de l'histoire scolaire, rien à voir avec les vieux Mallet-Isaac, Pierre Michon ne nous embarrasse pas ici de détails chronologiques ni de savante érudition. Au contraire, il préfère nous émerveiller par son style, au doux son de la lyre. Amateurs de réalisme cru et d'épais romans, ça va vous changer !
Pierre MICHON
L'empereur d'Occident
Verdier poche, 2009, 78 pages.

« Il avait exercé des charges ; deux doigts manquaient à sa main droite…» Ce vieux magistrat est Priscus Attalus, le musicien, le joueur de lyre, élevé à Antioche, qui a joué pour Alaric et ce chef de guerre en a fait un éphémère empereur d'Occident tandis qu'Honorius s'était barricadé dans Ravenne. Plus tard, Attalus se retrouvera finir ses jours dans l'île de Lipari, là où le narrateur a passé quelques soirées en sa compagnie.
Le narrateur lui a raconté « Ravenne et sa cour frileuse » et puis « Placidia, la noiraude, l'impitoyable, qui avait usé un roi goth et un patrice des Gaules, qui aujourd'hui partageait la couche de son frère et régnait à sa place sur l'Empire d'Occident.» Et de son côté Attalus lui fait la conversation ; il lui parle d'autres soirées, passées en compagnie d'Alaric, qui avait dû être quelque chose comme la terreur des braves gens avant qu'Attila n'arrive à son tour dans l'Empire d'Occident. Le narrateur se souvient :
« Alaric buvait… Les danseuses, éberluées ou terrifiées allaient comme des somnambules ; l'une d'elles manqua un pas, se releva et éperdument tenta de reprendre le rythme, s'effondra en pleurs. Le regard d'Alaric flottait là-dessus comme celui d'un bœuf sur une prairie, avec pourtant une insolence courtoise, paisible. Le musicien stupéfait découvrit que c'était pour ce regard qu'il jouait, depuis toujours. Alaric, peut-être pour mettre fin au calvaire des danseuses, eut le désir d'entendre des vers ; on chanta encore une fois la chute de Troie, le roi menteur d'Ithaque œuvrant à sa machine perfide, le mensonge qui renverse des trônes et jette dans votre lit les reines captives…»
Joli programme ! Mais le temps passe et, Alaric mort depuis longtemps, le narrateur va à son tour livrer des batailles qui changent le cours de l'Histoire… Belle prose, travaillée, ciselée, pas faite pour les lecteurs trop pressés. Ce n'est pas de l'histoire scolaire, rien à voir avec les vieux Mallet-Isaac, Pierre Michon ne nous embarrasse pas ici de détails chronologiques ni de savante érudition. Au contraire, il préfère nous émerveiller par son style, au doux son de la lyre. Amateurs de réalisme cru et d'épais romans, ça va vous changer !
Pierre MICHON
L'empereur d'Occident
Verdier poche, 2009, 78 pages.