• Romancière et essayiste algéroise, Leïla Sebbar signe ici un roman remarquable tant par son écriture que par son humanisme. Un vieil Algérien immigré, un chibani,
revenu vivre sa retraite au pays, tente d'exposer à Alma, l'écrivain public, le contenu d'une lettre à son fils dont il est sans nouvelles depuis plusieurs années. En élargissant cette situation initiale, l'auteure rend sensibles les difficultés de la communication et de la transmission dans les familles maghrébines.

• Leïla Sebbar ne nomme ni le vieil homme ni la jeune femme, interlocuteurs réguliers d'Alma devant la grande poste à Alger ; ils symbolisent tous les anonymes, illettrés ou non, pour qui l'écrivain public tient le rôle de confident. Aucun des deux ne parvient à lui faire écrire sa lettre, ni n'en a vraiment le désir ; l'écoute bienveillante d'Alma leur suffit, qui leur permet d'exprimer « la détresse, la colère, la résignation.» Leur parole se libère sans retenue : ainsi que le lui rappelle le chabani, « c'est votre métier de vous taire.» La romancière enroule autour des personnages le fil du discours continu, logorrhée émotionnelle, peu ponctuée, parfois émouvante. Elle joue autant des temps grammaticaux que des registres, entre le sépia des souvenirs et la lumière coupante du quotidien.
• « On ne parle pas, on ne se parle pas, […] on subit » regrette le vieil homme. Dans sa culture "on ne parle pas" de soi en famille, ni entre générations, ni entre époux. Retraité solitaire, le chibani confie qu'il en a souffert. Ouvrier chez Renault à Billancourt, c'est avec ses amis immigrés qu'il communiquait. Il garde le regret nostalgique des bons moments après le travail : Kamel, Habib et les autres, c'était sa vraie famille. Son foyer, il n'y demeurait guère, malgré sept filles et un fils, Tahar, sa dignité et sa joie. Mais il ne reste que l'amertume : « Je ne l'ai pas élevé, c'est vrai […] jamais à la maison en même temps.» Il raconte à Alma comment son fils s'est éloigné : adolescent dealer de cité, entré jeune homme en rébellion contre la condition faite en France aux immigrés, reprochant à son père sa « passivité de pauvre type ignorant, exploité, résigné » : ses derniers mots avant de s'enfuir. Désormais clairvoyant sur son impuissance à parler avec Tahar, le chibani sait qu'il lui est devenu « plus étranger qu'un étranger.» « Il ne veut pas de moi comme père.» Pourtant il tente encore de lui transmettre son affection, son souci, son espoir d'un retour qu'il sait improbable.
• Paradoxalement, dans cette société où l'on n'ose s'exprimer personnellement, on parle beaucoup. Hommes et femmes, par la lecture ou le bouche à oreille, partagent les poèmes, les contes et les chants arabes. Alors qu'en famille « on ne trouve pas les mots » pour exprimer pensées et sentiments, le détour par la culture commune permet de les suggérer.
• Leïla Sebbar révèle le drame de la communication familiale au Maghreb. Le poids des traditions dicte aux parents leurs rôles, assigne aux enfants leur place selon leur sexe. Beaucoup en souffrent, les plus âgés ont subi en silence comme le chibani, à la fois victime et coupable malgré lui ; les plus jeunes parfois se révoltent, telle Kalima qui a refusé l'époux imposé.
Étrangement, les mères, avec l'âge, gardent encore le silence mais choisissent de s'éloigner : celle de Tahar dans la montagne, celle d'Alma en Bretagne. L'attente d'un retour entretient toujours l'illusoire espoir « qu'un jour on parlera tout ce qu'on n'a pas dit.»
• Leïla SEBBAR : Mon cher fils
Éditions Elyzad, Tunis, 2009, 160 pages. ISBN : 978-9973-58-015-3
• « On ne parle pas, on ne se parle pas, […] on subit » regrette le vieil homme. Dans sa culture "on ne parle pas" de soi en famille, ni entre générations, ni entre époux. Retraité solitaire, le chibani confie qu'il en a souffert. Ouvrier chez Renault à Billancourt, c'est avec ses amis immigrés qu'il communiquait. Il garde le regret nostalgique des bons moments après le travail : Kamel, Habib et les autres, c'était sa vraie famille. Son foyer, il n'y demeurait guère, malgré sept filles et un fils, Tahar, sa dignité et sa joie. Mais il ne reste que l'amertume : « Je ne l'ai pas élevé, c'est vrai […] jamais à la maison en même temps.» Il raconte à Alma comment son fils s'est éloigné : adolescent dealer de cité, entré jeune homme en rébellion contre la condition faite en France aux immigrés, reprochant à son père sa « passivité de pauvre type ignorant, exploité, résigné » : ses derniers mots avant de s'enfuir. Désormais clairvoyant sur son impuissance à parler avec Tahar, le chibani sait qu'il lui est devenu « plus étranger qu'un étranger.» « Il ne veut pas de moi comme père.» Pourtant il tente encore de lui transmettre son affection, son souci, son espoir d'un retour qu'il sait improbable.
• Paradoxalement, dans cette société où l'on n'ose s'exprimer personnellement, on parle beaucoup. Hommes et femmes, par la lecture ou le bouche à oreille, partagent les poèmes, les contes et les chants arabes. Alors qu'en famille « on ne trouve pas les mots » pour exprimer pensées et sentiments, le détour par la culture commune permet de les suggérer.
• Leïla Sebbar révèle le drame de la communication familiale au Maghreb. Le poids des traditions dicte aux parents leurs rôles, assigne aux enfants leur place selon leur sexe. Beaucoup en souffrent, les plus âgés ont subi en silence comme le chibani, à la fois victime et coupable malgré lui ; les plus jeunes parfois se révoltent, telle Kalima qui a refusé l'époux imposé.
Étrangement, les mères, avec l'âge, gardent encore le silence mais choisissent de s'éloigner : celle de Tahar dans la montagne, celle d'Alma en Bretagne. L'attente d'un retour entretient toujours l'illusoire espoir « qu'un jour on parlera tout ce qu'on n'a pas dit.»
• Leïla SEBBAR : Mon cher fils
Éditions Elyzad, Tunis, 2009, 160 pages. ISBN : 978-9973-58-015-3