Ce roman-là est de style limpide et de lecture très agréable; il se déroule entre deux lieux distants : un village du Congo, une ville de France au passé négrier, Nantes. Le récit est conduit à la première personne et prend donc la forme d'une autobiographie; mais celle-ci est incomplète, discontinue. Le narrateur procède par va-et-vient entre le Congo et Nantes, pour évoquer son enfance africaine et deux séjours à Nantes où réside son demi-frère, amateur de jolies filles, de jazz et de rumba.
Le narrateur-là, André Leclerc, alias Okana, est déchiré entre les deux cultures. Né d'une mère congolaise, Ngalaha, et d'un père médecin militaire en poste au Congo. Puis le Dr César Leclerc est rentré en France, abandonnant femme et enfant, tournant la page... L'enfant grandit avec la conscience d'être différent des autres : avec des yeux bleus et pas tout à fait un Noir. On le prend pour un Antillais par exemple ou pour un Arabe (un "fellagha"!) —ce qui permet à l'auteur de nous rappeler les formules racistes du temps. Venu du Congo, André parle lingala quand même et est attiré par le mouvement anticolonialiste qui marque ces années cinquante et qui est le prétexte du premier séjour à Nantes, d'André alors étudiant.
Plus tard, il est devenu professeur de lettres à Chartres, quand il vient retrouver à Nantes et son demi-frère et la trace du médecin. Oui mais, grâce à ce demi-frère, Vouragan, le footballeur du FCN, il rencontre aussi une jeune nantaise rousse, Fleur, avec qui il vit une aventure forte durant la mi-carême. Bien sûr c'est la fille du médecin : le lecteur le sait dès le premier chapitre, mais pas le narrateur… Après une consultation au cabinet du médecin, André rentrera en Afrique, cette Afrique qu'il a bien cherchée. Quant au Dr Leclerc, qui a fait comme s'il ne reconnaissait pas son patient, il est éliminé par l'auteur. Revenu au Congo, André-Okana déclare que le Dr Leclerc a disparu pendant la guerre mondiale.
La construction du roman permet à l'auteur de nous décrire le Nantes des années cinquante, du temps de "La Résistance de l'Ouest", du pont transbordeur, du vieux tramway (le "péril jaune"), et du stade Malakoff ; mais un Nantes toujours actuel, pluvieux, avec fillettes de muscadet, mi-carême (carnaval), hôtel de la duchesse Anne, tour LU, place Royale, rue Crébillon et île Feydeau — où furent édifiés les hôtels particuliers des négriers du XVIIIè siècle. De même, le roman évoque le Congo d'avant l'indépendance, sans dictature et sans pétrole, mais avec langue locale, tam-tam, pirogue et initiation, pays batéké, Poto-Poto et Bacongo.
Le temps qui passe est judicieusement marqué par des référents culturels spécifiques du cinéma, de la musique et des variétés des années cinquante. La femme du médecin est un sosie de Michèle Morgan, et «son profil évoque un dessin de Cocteau». Le gardien du stade a l'allure d'Éric von Stroheim. On écoute des 78 et 45 tours sur un "Dual stéréo". On projette des westerns. On écoute les chansons de Mouloudji et on écoute les airs d'Armstrong ("Satchmo"). On fredonne même "Le pont de la rivière Kwai." — Comme on dit quelquefois : « Tout y est ! »
• Henri LOPES : Le chercheur d'Afrique - Le Seuil, 1990 et Livre de Poche, 2006 (312 pages).
- 5 Émissions de France Culture (mars 2006)
- L'enfance africaine / Les premières années en France / La politique en Afrique /
Les romans / La francophonie
Henri LOPES est ambassadeur du Congo en France depuis 1998.
Il a été élève au Lycée Clémenceau à Nantes dans les années 1949-1957 et eut comme professeur de lettres Thomas Narcejac…
-Sur l'autre rive, Le Seuil, 1992