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Les chiens de paille étaient des figurines spécialement fabriquées pour être brûlées dans les rituels taoïstes. Pourquoi Drieu met-il en exergue de son roman une citation de Lao Tseu qui y fait référence ? Sans doute parce que ses chiens de paille à lui, ses personnages de roman sont destinés à l'anéantissement en pleine Seconde guerre mondiale et que lui-même est suicidaire.

 

Si le personnage principal, Constant Trubert, dans lequel il est permis de voir Drieu lui-même, songe à l'autodestruction, en 1943, dans cette Maison des Marais proche de la Manche, cette fin tragique pourrait aussi bien être l'œuvre sinistre d'une bombe larguée par un avion anglais. Pendant ce temps un émigré russe, le peintre Vladimir Liassov, réalise des sortes d'icônes. Sans s'inquiéter des amants de Roxane qui partage sa vie, il plane en solitaire loin des réalités sinistres, dans son atelier caché au cœur des dunes.

 

Constant est appointé par Charles Susini, un Corse, trafiquant du marché noir, pour garder cette maison qui abrite dans ses dépendances un dépôt d'armes provenant de la campagne militaire de 1940. Mais le secret semble à moitié éventé, plusieurs personnages troubles rôdent autour de Constant et de la maison, cherchant des indices du lieu exact. Ce sont des connaissances de Susini, peut-être aussi des amants de Roxane. Chacun voudrait bien s'emparer des armes. Chacun travaille pour son camp, l'un pour les Anglais, l'autre pour les Américains, un autre encore pour les Allemands, et voilà qu'arrive le jeune Cormont, sorte de petit chef des Chantiers de jeunesse ou d'une Ecole de cadres, qui n'entend servir que l'intérêt national. Constant-Drieu se moque, moque son nationalisme étriqué de petit Français (« cette idée falote de la France seule ») à l'heure des empires porteurs d'idéologies rivales et qui s'affrontent dans cette guerre et au-delà.

 

Constant est arrivé en vélo. Il a rencontré Salis, puis Préault, puis Barby. Il a discuté avec eux tous. Parfois en s'énervant contre leurs choix politiques. Dans les coups de gueule de Constant perce même une vision d'une Europe future fatalement divisée entre Russes et Américains... A cinquante ans Constant n'est pas un héros. Il l'a peut-être été, dans les troupes coloniales en Afrique ou ailleurs. Il a couru le monde : la Russie, l'Asie. C'est un homme désabusé. Pourtant il cherche une certaine sagesse supérieure dans la lecture de Nietzsche ou dans les textes sacrés, dans les Évangiles, ou encore dans la religion tibétaine. Souvent, la figure de Judas s'impose à lui. Constant va-t-il dénoncer Cormont aux Allemands dont les bunkers sont proches ? Va-t-il livrer Cormont, ou même Susini, comme Judas a livré Jésus ?

 

Les gestes et les propos des hommes pleins de convoitise autour du trésor qu'est la cache d'armes ne s'inscrivent pas dans une narration réaliste. C'est plutôt invraisemblable, ou alors théâtral, comme une danse de prétendants, danse dérisoire sinon absurde, à laquelle Constant imagine apporter lui-même une fin tragique. Par son mélange d'action et de réflexion le roman de Drieu ne peut que faire fait penser à la Condition humaine de Malraux, mais en plus noir et moins réussi, car ici la fin est tombée du ciel et sans avertissement. La fin permet ainsi de mieux justifier le titre. Celui-ci a été repris par un film qui est sans rapport et surtout par l'essai du philosophe anglais John Gray, Chiens de paille. Réflexions sur les humains et autres animaux (2019), à la vision radicale et sombre, éloignée de tout humanisme.

 

Écrit en 1943, le roman de Drieu a été publié par Gallimard à la veille de la Libération de Paris ce qui a amené son pilonnage vu que l'auteur était connu pour ses relations avec les occupants nazis et son appartenance au PPF du collaborationniste Doriot. Après une tentative ratée à l'été 44, l'ancien directeur de la NRF s'est suicidé en mars 1945 échappant de cette façon à l'épuration... et rejetant le feu vert du ministre de l'Intérieur, Emmanuel d'Astier de la Vigerie, pour qu'il s'exile en Suisse.

 

 

Pierre Drieu La Rochelle : Les Chiens de paille. Gallimard, 1964, et L'Imaginaire, 1998, 201 pages.

 

Références :
  • Pierre-Henri Simon. Survie de Drieu La Rochelle. Le Monde, 12 février 1964.
  • Jean-Pierre Thibaudat. Dernier acte des écrivains collabos. Libération 25 août 2004.
  • Jérôme Garcin. Gérard Guégan fait le procès de Drieu la Rochelle. L'Obs, 7 juin 2016.
  • Blog de Roger-Pol Droit, 2 novembre 2019. Recension de Chiens de paille de John Gray.
Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #SECONDE GUERRE MONDIALE
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