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À un an d’intervalle Véronique Olmi et Sorj Chalandon ont choisi de révéler le scandale des établissements pour enfants de l’Assistance Publique dans l’entre-deux-guerres, les conditions inhumaines de prise en charge de ces garçons âgés de douze à vingt et un  ans, abandonnés, orphelins, voleurs pleins de colère. Que ce soit à Paris dans le roman d’Olmi ou à Belle-Ile sous la plume de Chalandon, à Mettray où séjourna Jean Genêt, ces petits colons sales, mal nourris, internés dans des locaux insalubres et répugnants étaient traités comme des prisonniers, voire des esclaves. Dans ces « colonies pénitentiaires » les violences, les humiliations, les coups composaient le quotidien de ces garçons, les plus jeunes violés par les aînés sans que les matons y trouvent à redire. À leur majorité leur avenir avait nom l’armée ou le bagne de Cayenne.


 

   Les deux romanciers restituent avec le même réalisme noir l’atmosphère de ces colonies mais selon deux points de vue différents. Véronique Olmi a choisi une large focale pour faire évoluer son personnage, Joseph Vasseur, de la campagne normande à Paris dans le contexte sociopolitique particulier qui mènera au Front populaire. Après le décès de sa mère suite à un avortement et le départ de sa grand-mère pour l’asile, Joseph s’est retrouvé à huit ans pupille de l’assistance Publique. Toutefois dans sa sombre existence clignotaient des lumières : son amour pour Aimé, un autre petit colon, sa passion pour la musique et la rencontre d’adultes bienveillants qui lui permirent d’en vivre à Paris, ménageant ainsi au roman une fin lumineuse. Mais l’écriture de Véronique Olmi reste très apprêtée, presque lyrique et ce trop « beau style » laisse parfois le lecteur à distance, même dans les passages les plus émouvants.


 

Sorj Chalandon, lui, centre son récit sur l’évasion de cinquante six colons dans la nuit du 27 août 1934 hors de la colonie pénitentiaire de Belle-Ile. Tous furent repris sauf Jules Bonneau, dit « La Teigne » et dans ce roman en partie autobiographique Sorj Chalandon est vraiment cet enfant. Violenté par son père tyrannique il s’est enfui de chez lui à seize ans. Comme Joseph Vasseur, Jules a croisé sa bonne étoile, un pêcheur et sa femme qui l’ont accueilli et lui ont donné l’opportunité de remonter  à Paris, sa ville natale. La Teigne violent et haineux comme l’était l’auteur jeune, est devenu « un homme droit ». Sorj Chalandon considère ce roman comme « une revanche sur toutes les violences qu’(il) a subies ».


 

On note quelques effets miroir : à l’époque Paris est la ville où il faut être vu et elle constitue le point d’ancrage des deux romans. Les parcours des deux protagonistes se croisent quand Joseph apprend par la presse la mutinerie dont Jules est le seul survivant... Les deux jeunes garçons renvoient l’image stéréotypée de ces pauvres enfants que la France entendait cacher. D’autre part, plus dense et puissant que celui de Véronique Olmi, le style de Sorj Chalandon explose de rage, de haine voire d’instinct meurtrier ; les passages plus apaisés n’y offrent que de courts répits.


 

De tels romans nous remémorent les heures sombres de la France des années 1930, de ces colonies qui ne seront fermées qu’après la guerre. Mais le récit de Véronique Olmi n’a pas la même force de vérité que celui de Sorj Chalandon qui ne peut laisser indifférent.


 

Véronique Olmi : Le Gosse. Albin Michel, 2022, en Livre de Poche 345 pages.

Sorj Chalandon : L'Enragé. Grasset, 2023, 403 pages.


 

Chroniqué par Kate


 


 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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