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C'est souvent comme auteur de théâtre que l'on présente Henry de Montherlant, disparu il y a cinquante ans, à cause notamment de ce pur chef-d'œuvre qu'est La Reine morte, mais son œuvre romanesque variée mérite toute notre attention. Rédigé dès 1929, Un assassin est mon maître a été revu par l'auteur en 1970 et publié l'année suivante avec une longue préface de Jean Delay, son confrère chez les Immortels, préface que je recommande de ne lire qu'après le roman vu qu'elle le dévoile entièrement en en donnant une lecture de psychiatre.

 

Un assassin est mon maître : c'est le personnage principal, Exupère, qui s'exprime dans ce titre accrocheur. Son histoire est rapportée par un narrateur anonyme mais en épilogue Montherlant prend la parole comme témoin de la fin tragique de son personnage. Diplômé de l’École des chartes, Exupère avait toute une carrière de bibliothécaire tracée devant lui. Mais Exupère s'ennuie à Paris à la Bibliothèque Nationale  ! Il demande un poste en Algérie et le voilà nommé à Oran quand il rêve d'Alger la Blanche. Saint-Justin qui vient l'inspecter l'apprécie assez pour lui proposer de l'assister à la bibliothèque qu'il dirige à Alger et l'aider à préparer le centenaire de la présence française. Voilà qui est parfait allez-vous dire ? Justement non ! A peine installé à Alger, Exupère déteste son nouveau poste, et ne songe plus qu'à rentrer en métropole. Ses relations avec Saint-Justin deviennent exécrables. Sa santé mentale chavire. Ça ne peut durer...

 

En fait, Exupère est fragile depuis son jeune âge. Devenu gros lecteur pour se protéger du monde réel, il a découvert le freudisme. L'essai Introduction à la psychanalyse est maintenant son livre de chevet en concurrence avec le journal d'Amiel. Malheureusement, cette lecture freudienne mal maîtrisée l'amène à amplifier la névrose qu'il s'était fait reconnaître pour éviter le service militaire et qui se nourrit d'un masochisme enraciné dans l'enfance. Le monde méditerranéen ne lui plait pas : il s'est puni lui-même en candidatant pour l'Algérie. Ses parents étaient antisémites : il ne rêve que de coucher avec des jeunes femmes juives... comme celle qui s'est fait tatouer "enfant perdue" en haut de sa cuisse.

 

Et le moins qu'on puisse dire c'est qu'il ne mène pas à Alger la vie d'un fonctionnaire modèle de la République. Il fréquente les prostituées et un ancien militaire à la moralité douteuse — au point de scandaliser son chef qui dès lors se complait à l'humilier, ou à le traiter de « canard boiteux ». Cet homme surnommé Colle est par contraste un personnage réjouissant : endetté auprès des usuriers juifs à Alger, tapeur auprès d'Exupère, voleur à la tire, guide ou gigolo à l'orée du désert, Manuel Manoussié est la seule figure souriante du livre.

 

Montherlant a passé plusieurs années en Afrique du nord et il restitue de façon convaincante les lieux et l'air du temps : on est en 1928 et la domination coloniale bat son plein. Par ailleurs, l'auteur donne d'Alger une impression lumineuse et ensoleillée — rien qui séduise Exupère pour qui l'ardeur de l'été méditerranéen est synonyme de mort car son père est décédé en août. Ce détail donne assez bien l'idée de l'état d'esprit de l'anti-héros qu'est Exupère, une personne qui porte bien mal son prénom puisqu'il signifie "surpasser".

 

• Henry de Montherlant : Un assassin est mon maître. Gallimard, 1971, LXVII + 312 pages.

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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