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Depestre-Hadriana.gifHaïti, deux décennies avant le terrible choc tellurique de janvier 2010… Sur le littoral sud, la ville de Jacmel aussi a souffert.

 

Ce roman de René Depestre prend racine dans un Jacmel plus ancien, celui de 1938, pour évoquer une histoire magique de vaudou et de zombie. Le jour de son mariage, alors que la ville a préparé le carnaval traditionnel, la jeune Hadriana, blonde héritière des notables Siloé, s'écroule tout net au milieu de l'église, juste après avoir proféré : "oui". Devant la jeune morte exposée aux regards de la ville en fête et en deuil, Madame Losange, la mambo, lance une sarabande burlesque puis une "expédition" contre les mauvais esprits de la mort : un rite de conjuration. 

 

« Elle fit quelques pas vers le catafalque et salua la famille Siloé avec une gracieuse flexion de jambes, buste incliné. Elle déboucha la bouteille et répandit quelques gouttes de son contenu rosâtre à la droite, à la gauche, devant le catafalque, en psalmodiant : "Apo lisa gbadia tâmerra dabô !" Ensuite elle salua avec la bouteille les points cardinaux de la place et inclina brièvement le goulot au-dessus du visage d'Hadriana. Ces libations rituelles terminées, elle baisa trois fois le bois verni du cercueil. Ensuite elle versa de la cendre dans le creux de la main droite. Elle dessina sur le sol, juste devant le catafalque, trois cercles surmontés d'une croix. La femme vida un autre sachet et traça au marc de café les contours d'un papillon géant aux ailes déployées au-dessus d'un sexe féminin…»

[Puis elle alluma un feu.] «— Foutre-tonnerre, cria-t-elle, ce feu de rédemption a faim! Aussitôt plusieurs spectateurs se mirent à l'alimenter. Quelqu'un commença par lui lancer un paquet de vieux numéros de La Gazette du Sud-Ouest. À la vue des premières flammes, Lolita Philisbourg enleva son soutien-gorge et le donna à manger au feu. Sa sœur Kariklé répéta l'offrande en y ajoutant son porte-jarretelles d'Italie. Mélissa Kraft et d'autres jeunes filles se privèrent de leurs bas de soie et de leurs combinaisons en satin…» 

 

La cérémonie chrétienne se métamorphose en rite vaudou. Au lendemain des obsèques d'Hadriana, il s'avère que sa tombe est vide : une "évaporation" à mettre sur le compte d'un suppôt de Baron-Samedi, un qui comptait bien se réjouir avec son "petit ange". Patrick Altamont, neveu du juge d'instruction, a été témoin des événements à l'église, chez les parents de la mariée, sur la place publique, au cimetière. Le drame le touche d'autant plus qu'Hadriana, son flirt de l'été d'avant, restait la fille de ses rêves. Par son récit habilement composé de manière non linéaire il nous initie au rituel des métamorphoses qui font — et défont — le zombie et risque même une théorie tiers-mondiste du vaudou. Hadriana, bien plus tard, sera narratrice de la dernière partie qui lèvera les mystères. Leur double narration, baignant dans la culture haïtienne, ne nous apprend peut-être pas tout sur le vaudou mais beaucoup sur les zombies, ces morts-vivants bien présents dans la mythologie des Caraïbes.

 

• À la limite du conte fantastique, cette histoire baigne dans une chaude atmosphère tropicale, très sensuelle voire érotique. L'écriture de René Depestre, tout en manipulant des personnages aux noms truculents, jongle avec le merveilleux et la tragédie, avec l'amour et la mort. En vrai magicien des Caraïbes. (Prix Renaudot 1988).

 

• René DEPESTRE : Hadriana dans tous mes rêves. Gallimard, 1988, 195 pages. Réédition Folio.

 

 

 

Tag(s) : #ANTILLES - CARAIBES, #HAÏTI
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