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Raphaël Confiant est l'auteur d'une importante œuvre de fiction dont plusieurs romans policiers, genre qu'il a pratiqué pour la première fois avec ce Meurtre du Samedi-Gloria. L'action se passe à la Martinique — pays natal de l'auteur — en 1964. La fiction policière n'est en fait qu'un alibi pour scruter la société locale connue pour son parler créole dont Raphaël Confiant est aussi le défenseur zélé.

 

Au matin du Samedi-Gloria, c'est-à-dire la veille de Pâques, le corps de Romule Beausoleil git dans une mare de sang près des pissotières, au bas de son quartier d'habitat précaire dit Morne Pichelin. Il aurait été égorgé avec un instrument tranchant genre pic à glace comme en utilisent les mareyeurs ; mais l'enquête de l'inspecteur Dorval, fier d'être revenu au pays après des années passées dans le 14è arrondissement de la capitale, va s'embrouiller avec de nombreux suspects, ce qui permet au lecteur de faire connaissance avec tous les milieux sociaux de l'île.

 

Morne Pichelin, comme le quartier voisin de Volga-Plage « conquis sur la mangrove » et d'autres tout aussi défavorisés, s'enorgueillit de posséder un champion de damier (ou danmyé) — le sport local de combat — qui fait du vainqueur le caïd de son quartier. A Morne Pichelin, la place est libre depuis la disparition du “titulaire” et les deux femmes influentes du quartier, Carmélise et Philomène ont entrepris de faire de Romule Beausoleil, modeste employé municipal, le nouveau champion local. Honoré d'être choisi, Romule est ainsi secrètement envoyé en “formation” auprès de Pa Victor, vieux maître de damier dans un village éloigné. Pendant ce temps, Ferdine, sa compagne infidèle s'enfuit : n'importe, les deux mégères lui trouvent une jeune remplaçante et Romule rentrera dans un foyer vivant et repeint à neuf, prêt à en découdre avec les caïds des quartiers rivaux. Sauf que le duel prévu avec le major de Bord-du-canal, autre puissant « nègre-Congo » appelé Waterloo, n'aura pas lieu...

 

Les récits de ces préparatifs et de l'enquête policière sont menés en parallèle avec assez d'efficacité pour que l'on se fasse une idée du coupable alors que l'inspecteur Dorval patauge lamentablement jusqu'aux dernières pages. De ce fait la galerie des personnages se garnit au fil du texte en piochant dans tous les milieux. Le docteur Mauville est l'amant assidu de Philomène la belle péripatéticienne : il représente la bourgeoisie mulâtre. Un « Blanc-Pays », le riche planteur béké Jonas Dupin de Malmaison — père du fils aîné de Carmélise — est entiché des combats de coqs, ce qui est aussi la passion de Beausoleil. Dans une grande rue commerçante deux Syriens qui tiennent boutique se disputent les clients attirés par leurs crieurs : l'un d'eux, Télesphore, rêve de s'acheter un gommier — une barque — pour aller à la pêche, et lui aussi est un abonné des pitts aussi appelés gallodromes. Souvent méprisés, les Indiens descendants des coolies venus au 19ème siècle, et de ce fait qualifiés de coulis, complètent la dimension multiculturelle de la Martinique avec Chine l'indic' bien informé de la police locale que dirige « un Blanc-France fatigué par vingt-cinq ans de tropiques ».

 

Le plaisir de lire est ici porté à des sommets grâce au talent d'un auteur qui manie le créole et les créations verbales antillaises pour un dépaysement garanti.

 

 

Raphaël Confiant : Le meurtre du Samedi-Gloria. Mercure de France, 1997, 282 pages. Réédité en Folio, 1999.

 

Né en 1951 en Martinique, Raphaël Confiant est l'un des représentants les plus connus et les plus prolifiques de la littérature antillaise avec des titres comme Le Nègre et l'Amiral (1988) ou Eau de café (1991, Prix Novembre). Il a aussi publié en créole au début de sa carrière littéraire.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #ANTILLES - CARAIBES
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