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Hier, la « Françafrique » incarnait les relations post-coloniales, officielles et occultes entre Paris et les capitales africaines, sur un fond de scandales et de récriminations que ne cachait guère le mythe consensuel de la francophonie. Aujourd'hui, la « Chinafrique » c'est à la fois moins et plus que la Françafrique.

Moins, parce que la projection de la Chine dans le continent noir, ne s'appuie pas réellement sur un passé partagé malgré le rappel des expéditions maritimes chinoises du XIVe siècle. La mort de l'amiral Zheng He en 1433 mit fin à ces aventures de découvertes de la côte orientale de l'Afrique ; il ne s'ensuivit ni traite négrière, ni conquête coloniale, ni comptoirs commerciaux chinois en Afrique. L'empire du milieu s'est replié sur son espace culturel. De sorte qu'il n'y a pas non plus de partage de la langue.

Plus, parce qu'aucune puissance étrangère ou coloniale n'a investi et dépensé en Afrique autant d'argent en si peu de temps. Aussi le sous-titre de l'essai de Serge Michel et Michel Beuret se justifie-t-il pleinement : Pékin à la conquête du continent noir. À l'exception de la participation de la Chine à quelques missions de l'ONU, il ne s'agit pas d'intervention militaire. C'est une conquête pacifique à coup de milliards de dollars, d'ingénieurs, de grands contrats, d'ouvriers qualifiés, de petits commerçants, et d'ambassades ambitieuses.

L'homme d'affaires Jacob Wood abrité par son garde du corps
devant son lotissement de 544 pavillons à Lagos (photo Paolo Woods)

Le scénario gagnant-gagnant

Illustré d'une trentaine de photos admirables de Paolo Woods (dont celle de la couverture, ci-dessus) cet essai est fondé sur les enquêtes menées sur le terrain par les auteurs, tous deux journalistes chevronnés, dans une douzaine de pays d'Afrique, de l'Algérie à l'Angola, de la Guinée à l'Éthiopie, à quoi s'ajoute une importante documentation débordant cet espace.

Les auteurs décortiquent à merveille la progression des intérêts chinois en Afrique. Pékin y trouve 30 % de sa consommation pétrolière (Soudan, Angola) et ainsi l'Afrique compte plus pour elle qu'elle ne compte pour les États-Unis qui s'approvisionnent d'abord dans leur continent. La Chine s'intéresse aussi beaucoup aux minerais et aux forêts. La Chine livre d'importantes quantités de ses productions de biens d'équipements (camions, machines) et fournit des montagnes de conteneurs emplis de pacotille provenant entre autres des grossistes de Yiwu (province de Zhejiang).

L'Afrique y trouve jusqu'ici son compte. Comme ils le répètent en conclusion, les auteurs démontrent que l'Afrique n'avait jamais vu tant de chantiers s'ouvrir pour son équipement (routes, chemins de fer, ports, usines, téléphones, hôpitaux et logements). L'Afrique bénéficie ainsi de la mondialisation qui abaisse les coûts des biens de consommation courante disponibles sur ses marchés urbains tout en vendant actuellement au prix fort ses richesses naturelles. 

Un bilan d'étape

À l'évidence, on ne peut reprendre le titre d'Eduardo Galeano "les veines ouvertes de l'Amérique latine" pour l'appliquer à la rencontre de la Chine et de l'Afrique. Néanmoins tout n'est pas rose... Les Chinois ont une totale indifférence à l'égard des droits de l'homme : ils ont vendu les machettes du génocide rwandais, les armes des criminelles milices du Soudan, et les copies de kalachnikovs produits par Norinco pour maintenir au pouvoir le dictateur Mugabe. On peut aussi énumérer le manque de transparence des marchés et des comptes, les réactions xénophobes, les chantiers interrompus. Pour l'instant Pékin achève une spectaculaire offensive en Afrique, au détriment de Taiwan et des Occidentaux, tandis que Brésiliens ou Indiens sont susceptibles de réagir plus que l'Union européenne.

Colonisation est-il le terme exact pour désigner la situation qui résulte de ces quelques années de présence chinoise ? Selon les auteurs c'est excessif. Les expatriés chinois travaillent beaucoup, vivent uniquement entre eux, mangent chinois, fréquentent leurs prostituées et leurs karaokés. À part l'élite au pouvoir qui profite des largesses des Chinois, et répète le discours officiel du gagnant-gagnant, bien des Africains peuvent néanmoins avoir un sentiment pénible de domination.

Le néologisme qui sert de titre semble effectivement promis à un bel avenir d'autant que cet essai épatant se dévore comme un roman d'aventures et qu'il enrichira certainement par ses exemples, ses statistiques et ses réflexions bien des cours et des copies de géographie !

 

• Serge MICHEL, Michel BEURET, Paolo WOODS : La CHINAFRIQUE. Pékin à la conquête du continent noir.
Grasset, 2008, 348 pages.

 

• Sur un livre plus récent où l'Inde s'ajoute à la Chine et à l'Afrique.

 

Tag(s) : #SCIENCES SOCIALES, #AFRIQUE
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