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En attendant la montée des eaux ? Oui, Haïti — cadre de l'essentiel du livre — a subi et subit encore toutes les calamités imaginables et il ne reste plus que la menace de l'engloutissement sous les flots d'un tsunami ou du réchauffement climatique... si l'on en croit la prédiction d'Hugo le météorologue infirme dont Babakar prend soin jusqu'à son dernier jour.

 

En fait le roman nous raconte l'histoire d'un médecin confronté à l'ahurissante avalanche de péripéties qui le suit durant la première décennie de ce siècle. Elle a eu la main lourde Maryse Condé, et pourtant ce sont des éléments bien réels qui forment le décor des aventures du docteur Babakar Traoré II. D'un côté il se trouve impliqué dans la guerre civile en Côte d'Ivoire, à Abidjan (Éburnéa dans le livre) et de l'autre embarqué dans la situation désespérée d'Haïti. Et comme si cela ne suffisait pas, plusieurs personnages secondaires viennent ajouter les récits de leurs tribulations.

 

Le malheureux héros du roman est né au Mali d'un ménage d'instituteurs, père noble « descendant de yerewolo », et mère antillaise aux yeux bleus, joliment nommée Thécla Minerve. Après ses études de médecine au Canada, Babakar s'installe en Côte d'Ivoire comme son ami Hassan. Mais la politique gâche leur amitié. Dans la période de crise qui suit la mort d'Houphouët-Boigny (non nommé), la tension entre sud chrétien et nord musulman éclate. L'ivoirité exclut d'être un immigré comme l'est Babakar qui proteste en vain vu ses origines bambara et malienne. Dans le conflit sanglant qui s'empare d'Abidjan, il perd femme et enfant. On comprend les raisons pour lesquelles il préfère continuer sa carrière dans un autre pays. Sa mère l'incite à s'installer dans son pays natal.

 

Le roman commence donc en Guadeloupe où Babakar vient de s'établir comme médecin-accoucheur, après ses déconvenues africaines. Il recueille la petite Anaïs quand Reinette la mère immigrée clandestine vient de décéder. Un certain Movar la réclame pour la rendre à la garde d'une famille haïtienne. En effet, Estrella la sœur de la défunte vit à Haïti au milieu des intrigues politico-militaires. Baby Doc a subi la mise à l'écart du pouvoir — on dit déchoukaj. De sanglants règlements de compte ont eu lieu, Reinette s'est ainsi retrouvée orpheline de Jean Ovide, journaliste trop critique et mauvais poète, et pour se sauver, elle a embarqué sur un bateau à destination de la Guadeloupe.

 

Movar est le premier à raconter sa vie. Il n'est qu'un ancien milicien du parti Lavalas, sévissant sous les ordres de Fwé Hénock, au temps du président Aristide (non nommé). Dans le chaos qui règne suite à la déposition du plus populaire des dictateurs, Mavar et ses jeunes sœurs survivent dans un restaurant sans clientèle tenu par un Libanais. C'est là que Babakar pose un moment ses valises et sa fille adoptive. C'est là qu'il tombe amoureux d'Estrella puis de Jahira — hélas toutes deux disparaitront dans l'assaut donné par l'armée contre le QG d'Henri-Christophe II, un chef de guerre qui se prend pour l'héritier prédestiné du fameux roi haïtien dont Aimé Césaire a écrit l'histoire tragique.

 

Les déboires amoureux de Babakar n'échappent pas à sa mère, qui à travers l'Atlantique, peuple ses rêves de ses yeux bleus et de ses avertissements. Malgré tous ses tracas, il s'occupe d'élever Anaïs et de faire tourner l'institution caritative qui soigne des jeunes femmes et des enfants, au milieu d'un parc où « une profusion d'agaves et de bauhinias avaient résisté à l'abandon ». Mais bientôt l'institution devra fermer et l'île subira les calamités qu'on devine.

 

La description fréquente des croyances et des coutumes, surtout celles d'Haïti, donne au roman une dimension exotique très réussie. Exemple : « On prétendait que Tonine [la gouvernante des sœurs Reinette et Estrella] parce qu'elle était apparentée à François Duvalier, était un “guède”, un esprit des morts, une sorte de “ghoule”. La nuit elle se changeait en oiseau de proie et tuait pour s'abreuver du sang. » On croisera donc le vodou, des buveurs de rhum, des peintres haïtiens, des voyantes et tout « un bric-à-brac magico-surnaturel » comme dit la romancière.

 

Juste un bémol. De nombreux dialogues en créole (non traduits) et le grand nombre de personnages constitueront d'éventuelles difficultés pour les lectrices et lecteurs de ce roman au scénario échevelé.

 

Maryse Condé. En attendant la montée des eaux. JC Lattès, 2010, 363 pages.

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #ANTILLES - CARAIBES
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