Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

  

 F.O. Giesbert a consacré dix ans à l’élaboration de ce roman où il tente de comprendre pourquoi les Allemands ne se sont pas méfiés de l’ascension d’Hitler. Avant 1933  Mein Kampf  ne remporta aucun succès, le peuple restait indifférent, les juifs ne fuyaient pas... En fait, nul ne prenait au sérieux ce « Schmock », en yiddish cet idiot, cet imbécile. En intriquant l’histoire de deux familles avec la grande Histoire, F.O. Giesbert anime  la lecture du nazisme. Sa plume reste aussi virulente que sa verve, son humour toujours caustique et décapant. Il submerge le lecteur par le foisonnement des personnages, le déstabilise en bousculant les temporalités, et le confronte sans ménagement au mystère : « Ne comptez pas sur l’auteur pour vous apporter dès à présent les réponses... Il vous faudra mériter la vérité en lisant ce roman jusqu’au bout ». Néanmoins un certain pessimisme pointe dans le récit, comme dans ses propos sur Europe 1 où il déclarait  « Il règne en Europe aujourd’hui un terreau de haine, une violence qui font peur ». La « bête », l’extermination, sous quelque forme que ce soit, peut se reproduire.


 

     Sans dévoiler ce que l’auteur laisse à découvrir, plantons le décor. Dès 1901 « la bête qui allait défigurer le XX° siècle » s’affirmait déjà avec La France juive  d'Edouard Drumont ou dans les propos de Houston Stewart Chamberlain. À Munich, voici Helmut Weinberger, juif par ses grands-parents paternels mais élevé en allemand francophile et son épouse goy, Magdalena, engagée dans la défense des juifs ; leur fils aîné Élie, né en 1902, s’était lié d’amitié  avec Harald Gottsahl, dont Karl, le père, avait plongé dans les affaires. Nullement antisémite, c’est par intérêt professionnel qu’il flattait Hitler... et avait l’exclusivité de fabrication des fameuses chemise brunes. Mais il ne s’en méfiait pas estimant « son discours incompatible avec l’âme allemande ». Élie, devenu médecin, avait épousé Elsa, demi-juive aux articles virulents contre le nazisme. Dès 1933 les deux femmes disparurent, liquidées par les nervis de la SA. Et Élie fut contraint de se sentir juif : « c’est le nazisme qui a fait de moi un juif ». C’est vers 1940 qu’Harald, fasciné par Hitler s’engagea dans l’armée « pour servir le Führer » : « enfin ma vie a un sens » s’exclamait-il. Karl son père, anti-nazi, évolua du mépris à la haine pour ce fils « naïf et inconséquent ». Élie, réformé parce que juif, recherché par le chef de la Gestapo, se cacha à la campagne. Quant à Harald, devenu « Grand Héros Allemand », il fut tué devant Stalingrad... Reste à dénouer le mystère d’Élie/Harald.., à découvrir comment une substitution d’identité fort intéressée a sauvé Élie ; comment, devenu médecin au camp de Dachau, puis libéré, il retrouva à Munich Lili, alias Lila, la fille d’un cousin d’Elsa, ancienne prostituée juive et l’une de ses plus anciennes conquêtes. Tous deux poursuivirent désormais soixante dix ans d’amour. Agé de cent dix-sept ans en 2019, Eli Weinberger restait « l’homme le plus vieux du monde » et se sentait « coupable d’avoir survécu à ce chaos ».


 

     F.O. Giesbert a souci de la vérité historique et s’est livré à de nombreuses recherches. Il re-parcourt les grands moments de l’épopée nazie, en réanime les temps forts comme la Nuit de cristal ou celle des longs couteaux. On croise aussi bien Himmler que Goebbels, Goering et bien d’autres. Il brosse non sans ironie de nombreux portraits du schmock « tyran domestique foutraque, croquemitaine de salon de coiffure » mais qui « électrisait et mettait en transe les foules ».

     Juifs ou allemands « de souche », par intérêt personnel ou par aveuglement, aucun des personnages, exceptées les deux femmes, n’a pris la mesure de la menace nazie. Karl le concède en parlant d’Hitler : « Je l’ai toujours sous-estimé. J’ai pensé que son programme était trop bête pour qu’il cherche à l’appliquer. On ne se méfie jamais assez des imbéciles. » En écho Élie confirme que  « le propre d’un type comme Hitler est qu’on ne l’a pas vu arriver, ni Staline, ni Mao Zedong. On les a laissés faire. Ce sont les enfants de nos lâchetés ». F.O. Giesbert prête à Élie ses propres  craintes car « la société devient de plus en plus intolérante » ; « n’entendez-vous pas la petite musique nazie qui monte des beaux salons (...) des mosquées salafistes, des coteries de bien-pensants ? »

     Comme en écho au final de la pièce de Brecht, Arturo Ui : « le ventre est encore fécond, d’où a jailli la bête immonde ». Merci à F.O. Giesbert pour ce beau travail mémoriel, merci d’alerter les consciences !

 

     • Franz-Olivier Giesbert. Le Schmok. Gallimard, 2019, 400 pages.

Chroniqué par Kate 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :