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Ce roman réussit à désorienter le lecteur par son intrigue et ses personnages plus que par sa composition qui donne à voir, en alternance, deux hommes isolés, Kanto et Yone. Car une question se pose de début à la fin : quel est, au fond, le sujet de ce roman ?

Le prologue amène à penser que Sidonie, célibataire, parisienne à la peau d'ébène, pourrait être le personnage central du roman, mais c'est en contradiction avec l'exergue qui évoque l'artiste Isamu Noguchi, sculpteur et designer. Sidonie est venue seule à la découverte du mâle japonais et elle a choisi Kyoto pour vivre cette aventure. Au bar qu'ils fréquentent l'un et l'autre, Kanto et Yone sont surpris de trouver une étrangère apparemment seule. Fort imaginatif, Kanto la prend pour une chanteuse américaine comme Nina Simone et il est prêt à la suivre jusqu'à son hôtel bien qu'il se tienne à l'écart des femmes depuis une expérience ratée avec une étudiante. Mais pour Yone, elle pourrait être d'une autre utilité : l'aider à débloquer son inspiration d'écrivain.

Kanto a abandonné des études de droit et s'est reconverti dans la création de jardins japonais ornés de pierres sacrées bien choisies — les kamo-ishi. Il s'en procure illégalement dans un parc protégé mais c'est une fausse piste de croire qu'il sera poursuivi pour ce vol. Il élabore le jardin de la villa d'un étranger, un certain Barthes, chez qui il a vu un livre d'art consacré à cet Isamu Noguchi qui jadis est revenu d'Amérique pour concevoir un travail sur le même genre de pierres que lui. Au-dessus de l'appartement de Kanto, l'homme qui vit seul depuis qu'il est séparé de sa femme, c'est bien sûr Yone. Les deux voisins, méfiants, ont par ailleurs tendance à s'espionner...

Tandis qu'il travaille à rédiger des questions pour un jeu de la télévision, Yone rêve de devenir écrivain : son projet de roman tourne autour du récent meurtre d'une étrangère par un certain Tatsuya Ichihashi, encore en fuite. Mais il n'en a écrit que la première phrase et est venu à penser que pour se glisser dans l'esprit de son personnage il lui faudrait s'approcher d'une étrangère... En même temps, Yone revit les moments intenses où il a compris que sa mère lui cachait l'identité de son géniteur, et que ce père était celui-là même qui avait laissé cette pierre étrange à l'entrée de la maison maternelle, avant de repartir pour l'Amérique, à savoir Isamu Noguchi. Un jour cette pierre, son seul héritage, a disparu. Une même disparition concernera l'une des pierres que Kanto a cachées dans son appartement...

Tant de signes que l'on relève rendent peu crédible l'idée d'avoir forcé le texte, d'autant que le propriétaire français de la villa où Kanto a travaillé est un certain Barthes, comme l'auteur de “L'Empire des signes”... L'importance de ces pierres qui tendent à disparaître peut sans doute se comprendre comme la métaphore d'un Japon ancestral dont l'héritage s'estompe, s'efface. Pour des motifs différents, Kanto et Yone sont obsédés par ces pierres ; elles témoignent du passé culturel de l'un et personnel de l'autre, donc de la question de leur identité. En même temps, ils sont fascinés par le motif de l'étrangère, à la fois occidentale et noire, tout le contraire de leur identité japonaise mise en question par l'ouverture au monde. Ils en viendront à se battre à propos d'elle !

 

• Céline Curiol. L'ardeur des pierres. Actes Sud/Leméac, 2012, 204 pages.   

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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