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Une visite à la bourgeoisie bordelaise de la Belle Époque, tel pourrait être le sous-titre de ce roman datant de 1933 dont le titre suggère un mystère familial. Mais quel mystère y a-t-il donc chez les Frontenac ? On se demande d'abord pourquoi Xavier, si attaché à Michel son frère récemment décédé, ne vient pas lui succéder à la tête de l'entreprise familiale de négoce de bois des Landes, et préfère s'occuper d'une modeste étude à Angoulême. Ou encore pourquoi Blanche, qui doit élever désormais seule ses cinq enfants, ne cherche pas à se remarier.

 

On découvre assez vite que le cœur du roman est davantage centré sur une fratrie : les trois garçons de Michel et Blanche, leurs deux filles restant en marge du récit. Dans cette famille très catholique, attachée aux terres (les pins, les vignes) sont nés des enfants qu'attire la philosophie (Jean-Louis), la poésie (Yves), l'aventure (José). Présenté comme l'aîné des Frontenac, Jean-Louis est attiré par la philosophie, mais par « devoir » il sera le chef d'entreprise, permettant à ces deux cadets de vivre une vie en marge. Patron malgré lui, il tente de modifier les relations avec les salariés dans l'esprit du catholicisme social qui sera bien plus tard repris par le ''gaullisme de gauche''.

 

Yves et José s'éloignent de ces préoccupations matérielles. Ses poésies éditées au Mercure de France et remarqué par André Gide, Yves devient un mondain fréquentant des salons parisiens. « Figure-toi que j'ai vu Barrès » confiera Yves à son frère aîné. Dépensant sans compter pour une danseuse nue à l'affiche d'un cabaret du port, José est bientôt prié de s'engager dans l'armée à l'issue d'un conseil de famille : lecteur de Psichari, il se retrouve servir au Maroc devenu protectorat français.

 

C'est assez dire que Mauriac romancier inscrit ses personnages dans leur temps et pas qu'en citant des noms d'écrivains. Les nouveaux mode de transport bouleversent la vie quotidienne. En 1900 Bordeaux découvre le tramway électrique. Cussol, l'associé des Frontenac, a acheté une voiture innovante, une Fouillaron, qu'il utilise pour leur rendre visite dans leur domaine des Landes. Mais ces traits de modernité ne sont que des détails sur le paysage stable de la vie bourgeoise catholique et bordelaise. L'entreprise de négoce, les immeubles, les terres : bref le capital est omniprésent. De plus, une relation quasi mystique paraît lier les Frontenac à la forêt. Ce monde végétal à proximité de leur ville est l'antithèse de Paris, ville de perdition où l'oncle Xavier finira ses jours en compagnie de celle qu'il cacha si longtemps à sa famille : une simple lingère qu'il a installée dans ses meubles.

 

Alors ce mystère Frontenac, n'est-ce pas ce si fort esprit de famille ? Une force qui, un vendredi sur deux, amène Xavier à quitter son étude (et sa maîtresse secrète) pour faire le tour des domaines des jeunes héritiers Frontenac et rendre visite à leur mère à Bordeaux. Une force qui décidera Jean-Louis à assumer une direction d'entreprise commerciale plutôt qu'à entreprendre une thèse de philosophie. Une force qui pousse Jean-Louis à se passer d'un marché juteux pour rejoindre un frère qu'il sent abandonné et sait malade. 

 

Un livre à goûter enfin pour l'écriture sobre de Mauriac qui analyse si bien les passions, une écriture nerveuse, riche en verbes et où l'adjectif est évité comme du gaspillage.

 

• François MAURIAC : Le Mystère Frontenac. - Grasset, 1933.

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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