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Karmoni, un riche commerçant qui rentre ivre à la maison, a pris l’habitude de glisser des billets dans la vieille horloge murale. Un jour celle-ci est bloquée, sa femme le lui fait remarquer. D’un coup de pied il ouvre le meuble et les billets pleuvent. « Toutes ces richesses ? Dib-Talisman-BabelDieu nous ait en sa sainte garde… Ce sont ces gens-là [les esprits] qui sont passés chez nous ! » dit l’épouse. Les épisodes humoristiques de ce genre ne sont pas le pain quotidien dont se nourrit Mohammed Dib témoin des temps difficiles qu’a vécus l’Algérie où il est né en 1920 et dont il a été expulsé en 1959.

Ces textes brefs peignent, comme des aquarelles rapides, des scènes graves et souvent douloureuses, relativement détachées de la durée historique. Un artisan tisserand se lève en pleine nuit pour aller brûler ses ateliers, peut-être à cause d’une rumeur qui circule en ville sur un projet de partage des biens (« Tandis que les oiseaux »). Dans la cour d’un bidonville, des enfants pauvres se chamaillent (« La cuadra »). Un passant tente en vain de déchiffrer une pierre tombale (« La dalle écrite »).

Mais la majorité des nouvelles illustre les années de la guerre d’Algérie, y compris « Le Talisman » qui clôt le recueil et lui donne son nom. Un paysan rentre de nuit au village : portes et fenêtres ont été murées (« La destination »). Un mari pleure sa femme arrêtée et peut-être morte sous la torture (« Naëma disparue »). Un riche commerçant est retrouvé assassiné (« Celui qui accorde tous les biens »). Un colon européen voit ses ouvriers agricoles l’abandonner (« La Fin »). Un tueur à gages discute avec un cafetier (« Le voyageur »). Un homme songe à ses talismans tandis que ses voisins sont torturés ou abattus et que son tour arrive (« Le Talisman »).

« Je suis revenu chez moi. Ce n’est pas un rêve, j’ai retrouvé mes montagnes. Tournant le dos au bas-pays, la dechra se découvre soudain, tapie dans une crevasse, après un méandre du chemin. Il faut quitter la route et s’en remettre au sentier de chèvres qui grimpe du fond de la vallée. Au bout, on est accueilli par cette espèce d’anse. Aussitôt on s’y sent plus isolé qu’en haute mer. Les habitations : quelques cabanes de glaise et, creusées à même la roche, des grottes qu’aveugle un mur, ce sont celles-là mêmes qui m’ont vu naître, et courir, enfant. Tout est à la fois vide, abandonné, et hanté par de muettes ombres…»

Une écriture rude et sèche, comme certains textes de Giono sur la Haute Provence, telle est l’impression que donnent de nombreux passages de ces nouvelles qui ne sont généralement pas construites comme celles d’un Maupassant soucieux d’ironie et de réussir une chute, mais de communiquer une tension, la peur d’un abîme qui s’ouvrirait sous nos pas. On peut préférer cette face de l’œuvre de Mohammed Dib à d’autres plus proches du fantastique — quand il a choisi de ne plus être le témoin d’un instant. Du moins est-ce mon choix.

Mohammed DIB. Le Talisman

Version originale : Editions du Seuil, 1966, 138 pages. Réédition « Babel » 2009.

 

Deux sites à consulter :

• Le dossier Dib de Lecture/Ecriture.com

http://www.fondation-dib.com/

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #ALGERIE
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