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Si l'on découvre avec Repose-toi sur moi ce romancier déjà auteur d'une dizaine de romans dont le succès l'a conduit à la célébrité, on ne pourra qu'y trouver justice : le sujet et les personnages principaux, l'écriture et la construction du récit, tout porte à voir dans ce roman de la rentrée littéraire 2016 un livre à retenir.

 

Les deux personnages principaux sont deux êtres que tout oppose sauf leur adresse parisienne. Mariée à un cadre américain, mère de deux enfants, Aurore travaille avec passion dans la mode, co-gérante d'une PME qui traverse une passe difficile. Venu d'une ferme du Lot, veuf, Ludovic est un ancien rugbyman qui œuvre dans le recouvrement des dettes et pas toujours avec délicatesse. La parisienne chic et fragile d'un côté, de l'autre le costaud qu'on pense solide comme un roc mais en fait émotif et capable de péter les plombs : variante moderne de la Belle et la Bête. Elle habite un duplex coûteux; lui de l'autre côté de la cour arborée, dans la partie non rénovée de l'immeuble. Bref, ils n'ont rien à partager et se croisent en s'ignorant devant les boîtes à lettres. On en resterait là s'il n'y avait eu ces corbeaux venus s'installer dans les arbres à hauteur des fenêtres d'Aurore, qui l'effraient et qui ont chassé le couple de tourterelles. Dès le moment où Ludovic remonte de la ferme une carabine et tue les corbeaux, tout s'enchaîne pour qu'Aurore voit en lui un homme providentiel. Les tourterelles reviennent — quel symbole ! — et ainsi commence leur liaison.
Les choses se compliquent quand Aurore lui confie ses soucis professionnels qu'elle n'ose pas soumettre à son mari dont les affaires prospèrent. Sans le dire expressément, mais en suggérant beaucoup quand même, Aurore amène Ludovic à se mêler de ses soucis. Elle lui désigne ainsi un associé ambitieux qui conspire pour l'écarter de l'entreprise et un gros client qui ne paie pas la marchandise exportée en Asie. Ludovic, habitué à recouvrer les créances des particuliers, s'imagine pouvoir impressionner ce client revêche. Et tout va déraper.
 
Chronologique, le récit n'innove en rien par sa structure. Simplement l'auteur a su singulièrement bien enchaîner les étapes de son histoire, entremêler les questions professionnelles et les émotions de la vie privée. Aurore, la femme fragile — longtemps on la supposait ainsi en début de lecture — deviendra celle qui pourra dire « Repose-toi sur moi » à ce grand gaillard de Ludovic, quand l'homme fort, physiquement et moralement, laissera la place à un homme malade et inquiet. Aurore est finalement plus équipée que lui pour surmonter les problèmes où ils se débattent, et quant à elle effectuer un choix difficile qui se résume ainsi : « L'insupportable, c'était de devoir choisir entre trois deuils, perdre sa boîte, perdre son associé ou perdre cet homme… »
Enfin l'autre originalité de ce roman ne serait-elle pas d'oser montrer la France d'aujourd'hui ? L'auteur multiplie en effet les indications en prise sur le présent de notre société à deux vitesses : les fortes inégalités de revenu, la persistance du sentiment de classe et de l'opposition Paris-province, le drame de l'endettement pour des gens modestes, sans compter le risque des produits chimiques toxiques qui ont causé la mort de Mathilde, la viticultrice qui vivait et travaillait avec Ludovic, ou encore la menace de la délocalisation sur les derniers emplois de la mode en France.
 
Serge Joncour. Repose-toi sur moi. Flammarion, 2016, 426 pages.
 
Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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