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« Témoigner me rappelle que ce parcours m’a fait. J’aime à le raconter » confie Omar Benlaala. Il fut long et chaotique le cheminement de ce petit gars de Ménilmontant né en 1975. Dans les années 90, alors qu’il errait en perte totale de repères, un prédicateur musulman l’a approché : il l’est lui-même devenu et fut ainsi un des premiers « barbus » de son quartier. L’auteur raconte avec beaucoup d’humour sa formation accélérée dans les mosquées et ses nombreux voyages en Orient. Car avant l’an 2000 ces jeunes ne quittaient pas la France pour apprendre à manier des armes mais pour parfaire leur apprentissage de prêcheur.

De retour en Seine-Saint-Denis, Omar a replongé dans la drogue et la drague. Mais il avait trouvé Dieu, non pas grâce à l’entreprise d’endoctrinement, ni à la mise en scène des imams aux discours mensongers, mais grâce au soufisme. C’est « le corps sain et l’esprit désaliéné » qu’Omar Benlaala vit désormais sa foi.

 

Avec le recul de l’autodérision, l’auteur évoque « la petite frappe sans envergure » qu’il était à vingt ans. « Poison d’une famille sans problème » kabyle de tradition musulmane, ce jeune décrocheur scolaire ne fréquentait pas la mosquée et zônait entre rodéos nocturnes, ecstasy et autres hallucinogènes. Il crut pouvoir s’amender lorsqu’un ami le convainquit « d’islamiser le voisinage ». Troquant jean et sweet pour robe et barbe longues, on le remarque au pied des tours de Belleville. Il adore, il se sent enfin important et reconnu. En totale « ébriété spirituelle », il n’a pas conscience qu’il se fabrique un personnage. Avec le recul O. Benlaala décrit, non sans ironie, la démarche prosélyte comme une entreprise. Dans les salles de prières son discours promotionnel dénué de conviction attire de nombreuses « proies ». Après quarante jours de prêche en banlieue, son destin bascule lorsqu’il rencontre Sheïk Saïd Khan, maître soufi charismatique venu de l’Inde. Il part alors au Pakistan, en Inde et au Bangladesh. Il y découvre autant la misère que l’humilité et rejoint le rassemblement de prédication Tablig Jamaa. Quand Hakim, son guide soufi, lui explique « qu’ici on responsabilise, on n’ordonne pas » le doute saisit l’auteur. Il rompt avec ses frères de tendance pakistanaise radicale : « Désobéir à des extrémistes, est-ce désobéir ? ». C’est le choc lorsqu’il découvre à Calcutta, les ferrailleurs miséreux qui découpent sans protection, les « damnés de la terre ». « Jamais je n’aurais pensé que l’homme puisse dénaturer à ce point son congénère. Dans mes discours je loue sa valeur, c’est que je ne le connais pas. Je ne suis qu’un perroquet ». O. Benlaala découvre la sollicitude, l’empathie pour les souffrances humaines et prend conscience de son conditionnement, de sa « religiosité » sans humanité. Bien d’autres voyages seront nécessaires à sa désintoxication physique et spirituelle. À Chypre, l’abnégation et la grande discrétion du maître soufi Sheïk Nazim lui ouvriront la Voie.

 

La barbe ? Un simple leurre pour appâter les faibles. Omar, désormais imberbe, découvre le pouvoir de « l’invisibilité ». Il a rencontré Dieu. Son parcours enseigne que pour se reconstruire il faut lutter contre soi-même, non contre autrui. Son message est-il audible aujourd’hui ?

 

• Omar Benlaala. La Barbe. Seuil, coll. Raconter la vie. 2015, 100 pages.

Chroniqué par Kate

 

Tag(s) : #ISLAM, #RACONTER LA VIE
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