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En introduction l'auteur nous met en appétit quand il écrit que son essai « revient sur les diverses manières de concevoir les périodisations : les continuités, les ruptures, les façons de penser la mémoire de l'histoire ».

 

En fait il s'agit essentiellement d'un procès de la Renaissance en tant que période originale de l'histoire et dans le seul cadre de l'histoire européenne malgré la mention de la mondialisation. Le Moyen Âge, devenu « long Moyen Âge » sous l'effet d'un impérialisme médiéviste, conquiert et annexe la Renaissance, en efface l'originalité, et la déclasse de période en sous-période par un curieux processus de colonialisme méthodologique.

Et comme les idéologues de la colonisation, Jacques Le Goff ne manque pas d'arguments pour déprécier sa proie. La Renaissance perd sa « centralité » et sa majuscule en devenant une « sous-période ». Tout ce que vous croyiez être le propre de la Renaissance avait déjà été dit, inventé, découvert, vécu avant...

Dans les siècles d'innovations entre 1000 et 1500 l'Europe a vu apparaître les moulins à vent, la fabrication du papier, l'essor de la lecture, l'université, l'assolement triennal, l'ouverture d'une ligne maritime entre Gênes et Anvers, etc, etc. À la minable renaissance du Moyen Âge tardif, il ne resterait que le temps des sorcières, des bûchers, et des guerres de religion. Plus tard, la publication de l'Encyclopédie suivie de la Révolution française ferait entrer l'Europe dans une autre période, celle des Temps Modernes et du Progrès (en attendant le Jugement dernier de la Mondialisation, fin de l'histoire euro-centrée).

D'un autre côté, le médiéviste prend comme argument de sa démonstration la survivance de techniques jugées “médiévales” (au sens d'archaïques) jusqu'au cœur du XIXe siècle européen, à savoir les bas rendements agricoles, ceux de 1840 dans le Bassin parisien n'ayant guère changé depuis le XIIe siècle, comme l'avait jadis montré Michel Morineau. Mais que prouve réellement une survivance ? L'huile d'olive biologique qui se fabriquera en Provence en 2014 sera aussi “antique” (et naturelle) que celle des contemporains de Périclès, mais ce n'est pas pour autant que l'Antiquité même tardive se sera prolongée jusqu'au XXIe siècle.

Plutôt que le procès du “saucissonnage” — indispensable en pratique— cet essai à l'intéressante bibliographie donne l'historique des découpages en périodes et des appellations desdites périodes. Le Moyen Âge comme séparation des Anciens et des Modernes serait l'invention —en 1469— « du bibliothécaire pontifical Giovanni Andrea (1417-1475), considéré comme un humaniste de qualité » et plus précisément en 1688 l'historien luthérien Cellarius le définit —avec une précision illusoire ?— comme « la période allant de l'empereur Constantin à la prise de Constantinople par les Turcs ». 1453 alors s'impose, avec le transfert des humanistes et de leurs manuscrits grecs vers l'Italie, (date-clé dont le cinquième centenaire a pu être relégué dans l'ombre par la mort de Staline), tandis que 1492 est fréquemment donné aujourd'hui comme étant “le” tournant, ainsi Bernard Vincent dans son essai “1492 - Année admirable” paru pour le cinquième centenaire, celui d'une autre migration, l'expulsion des Juifs et des Morisques tandis que Colomb traversait l'océan.

Les mots tardent plus ou moins à baptiser les faits écoulés. Si le parrain de l'Antiquité —au sens actuel— avait été le sieur de Montaigne en 1580, le parrain de la Renaissance (avec la majuscule) serait Michelet en 1840 ; c'est lui qui a « englouti » le Moyen Âge sous le « pessimisme » de la noirceur de ténèbres convenues avant que Jacob Burckhardt ne construise la présentation la plus connue de cette Renaissance, axée sur les arts, la fête et l'Italie, dans son ouvrage de 1860.

La Renaissance que l'auteur de “Pour un autre Moyen Âge” soumet ici à la question est clairement postérieure à 1492/1500. Ce qui est sans doute pertinent pour la France ou l'Espagne. Pour l'Italie c'est trop tard, cf. l'essai très documenté d’Élisabeth Crouzet-Pavan, “Renaissances italiennes. 1380-1500”. Il faut donc relativiser. S'il est inutile de renoncer à ce mot de Renaissance, en même temps prenons bien conscience de durées différentes selon les régions ou les objets de l'histoire. Bien sûr que l'histoire n'est pas une succession de blocs temporels où tout est différent d'un contexte à l'autre, mais n'englobons pas tout dans la conception braudélienne du « temps long », ce qui fut certes un choc salutaire quand apparut l'école des Annales ; néanmoins Braudel n'ignorait pas que son modèle de la “longue durée” cohabitait avec d'autres rythmes plus rapides. Même à l'intérieur du « long Moyen Âge » il y a des ruptures et des continuités, et une périodisation nécessaire !

 

Jacques Le Goff. Faut-il vraiment découper l'histoire en tranches ? - Éditions du Seuil, janvier 2014, 207 pages. Réédition Points 2016.

 

 

Tag(s) : #RENAISSANCE, #HISTOIRE MOYEN AGE
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