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Carlo Ginzburg s'est rendu surtout célèbre par Le fromage et les vers. L'univers d'un meunier frioulan du XVIe siècle bien que dix ans auparavant il ait été l'un des pionniers de la microstoria ou microhistoire avec cette étude sur les Benandanti.

Plongeons dans les croyances populaires des temps passés !

Non loin de Venise, dans le Frioul des années 1575-1660, les benandanti passaient leurs nuits à rêver qu'ils combattaient les malandanti, autrement dit les sorciers. En Europe, c'était l'époque de la grande tragédie de la chasse aux sorcières qui envoya des milliers d'hommes et de femmes au bûcher (sur ce point voir par exemple l'ouvrage général de Guy Bechtel). Mais l'Inquisition ne semble pas avoir prononcé une seule condamnation à mort contre les benandanti du Frioul.

 

Dans la tradition populaire du Frioul, et peut-être de quelques autres régions d'Europe centrale ou de Dalmatie, seuls des individus nés coiffés pouvaient devenir des benandanti. Parfois considérés comme vagabonds, mais en réalité bergers, paysans, meuniers ou encore menuisiers, comme l'indiquent les archives de l'Inquisition exploitées par Carlo Ginzburg, ils étaient appelés à partir combattre de nuit, lors des jeudis des Quatre Temps (des dates bien réparties dans l'année liturgique) contre les sorciers et les sorcières. Contre les sorcières brandissant des tiges de sorgho, ils luttaient avec des tiges de fenouil ! L'enjeu c'était l'avenir et la prospérité de la communauté : au nom du Christ, à ce qu'ils prétendaient, ils se battaient pour que les récoltes soient bonnes et pour la santé du bétail. Revenus de leur rêves, ils pouvaient aussi, croyait-on, guérir les sorts jetés par les sorciers, car les gens des villages s'adressaient plus à eux qu'aux curés. Il n'est donc pas étonnant que ce soient parfois les curés qui se plaignent auprès des Inquisiteurs : on serait tenté aujourd'hui de parler de concurrence déloyale…

 

Concrètement — si l'on peut dire — c'est en esprit qu'ils quittaient leur lit pour gagner un terrain proche ou éloigné pour combattre les malandanti. Pendant ce temps, leur corps dormait profondément, on ne pouvait le réveiller, et après le combat, l'âme du benandante revenait… On conçoit aisément qu'à l'oreille des inquisiteurs ces exploits sentaient quelque peu un parfum d'hérésie. L'auteur accompagne son essai de documents concernant ainsi les procès en hérésie de Paolo Gasparutto et Battista Moduco que l'inquisition instruisit à Cividade du Frioul de 1575 à 1581 sur dénonciation du curé Bartolomeo Sgabarizza. Les femmes qui se disaient benandante ne combattaient pas armées de branches de fenouil contre les sorcières, mais elles apprenaient d'elles qui allait tantôt mourir au village, ou bien encore acquéraient le pouvoir de voir les morts, ce pourquoi on venait les consulter. Les benandanti des deux sexes semblent aussi avoir joué les rebouteux au village.

Combat entre un diable et une sorcière - Gravure de Jakob Binck, 1528.

Aboutissements de vieux rites païens, ces batailles nocturnes des benandanti tendirent peu à peu à rejoindre purement et simplement la sorcellerie. Mais dans les années 1650-1660, Rome n'envoyait plus au bûcher aussi facilement que les archevêques rhénans des années 1630. Simplement, ces benandanti étaient causes de troubles dans les villages par le seul fait d'accuser X ou Y de sorcellerie puisqu'ils se battaient en rêve contre eux. Aussi étaient-ils souvent dénoncés aux inquisiteurs des diocèses de la région ! D'autre part, durant les auditions, les inquisiteurs par leurs questions habiles les amenaient à tellement décrire leurs batailles nocturnes qu'ils en venaient à dire qu'ils avaient vendu leur âme au diable ou agi comme des sorciers ordinaires. Carlo Ginzburg, en examinant ces témoignages, montre que les benandanti se contredisaient souvent, étalant surtout leur faiblesse d'esprit… et pourtant, ils étaient nés coiffés !

 

• Carlo Ginzburg : Les Batailles nocturnes. Sorcellerie et rituels agraires aux XVIe et XVIIe siècles. Traduit de l'italien par Giordana Charuty. Flammarion, coll. Champs, n° 135, 1984 et Verdier, 1980. [Einaudi, 1966. I Benandanti. Stregoneria et culti agrari tra cinquecento et seicento.]

 

Tag(s) : #HISTOIRE 1500-1800, #ITALIE
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