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Comme Molière à l'issue d'une représentation du Malade imaginaire, Arthur Leander meurt sur les planches en incarnant le roi Lear dans un théâtre de Toronto. Cet acteur et ceux qui l'ont connu se retrouvent parmi les principaux personnages du livre d'Emily St. John Mandel, romancière canadienne née en 1979 et déjà connue pour trois titres traduits aux éditions Rivages. Peu après la parution de la nécrologie de l'acteur dans le New York Times, le monde a sombré dans une apocalypse déclenchée par un virus qui laissera fort peu de survivants. Ce roman passionnant doit beaucoup à l'extraordinaire agilité de la chronologie d'une intrigue qui virevolte autour de la catastrophe.

 

Quand nous faisons sa connaissance, au théâtre, l'acteur Arthur Leander, la cinquantaine, est en cours de divorce de sa troisième épouse. Kirsten, alors petite-fille sur scène dans le Roi Lear, fera partie quinze ou vingt ans plus tard d'une troupe itinérante jouant Shakespeare ou interprétant Beethoven dans un monde post-apocalyptique où la survie n'est pas une mince affaire. Miranda, première épouse d'Arthur et comme lui originaire d'une île proche de Vancouver, avait composé un roman graphique inspiré par la science-fiction : Station Eleven, en deux volumes dont elle a remis des exemplaires à Arthur peu avant la dernière représentation au théâtre Elgin à Toronto. C'est ainsi que Kirsten emportera, par delà la tragédie, à la fois le souvenir du grand acteur et deux exemplaires du roman graphique de Miranda. Lorsque la nouvelle du décès d'Arthur lui parvient, Miranda se trouve en Malaisie, mais Elisabeth, la seconde épouse pourra prendre l'avion de Jérusalem à Toronto avec Tyler le fils de l'acteur. La pandémie bloquant les grands aéroports, leur avion est détourné sur Severn City dans la région du lac Michigan. Un groupe de survivants s'organise dans l'aéroport. Au fil des ans, Clark, un ami de Leander venu dans le même avion qu'Elizabeth, y organise même un petit Musée de la Civilisation autour d'objets qui ne peuvent plus servir faute d'électricité après l'effondrement des réseaux : ordinateurs, iPhone, cartes de crédits, etc, pour l'édification des plus jeunes. Kirsten y déposera un exemplaire de sa BD favorite…

 

La Symphonie itinérante, tel est le nom de la troupe que Kirsten a fini par rejoindre après avoir erré au sud de Toronto, rassemble comédiens et musiciens rescapés de la pandémie. Leurs aventures sont évidemment dictées par le contexte post-apocalyptique : les villes pillées depuis longtemps et les autoroutes bloquées de voitures emplies de cadavres sont les lieux à éviter. Traversant les forêts, la troupe se déplace de village en bourgade de survivants. L'étape de St. Deborah by the Water est marquée par la rencontre hostile avec le Prophète, individu plus toxique que biblique, surtout à la recherche de chair fraîche pour peupler son harem et repeupler le monde. Il pourrait bien être en fait Tyler le fils d'Arthur Leander, qui a vécu plusieurs années avec sa mère à l'aéroport de Severn City avant qu'ils ne s'en éloignent pour suivre un groupe inspiré par la religion. Kirsten et ses amies pourront-elles échapper à ce prédateur sexuel camouflé en gourou ?

 

Si bien des épisodes font penser à La Route de Cormac McCarthy, puisque dans les deux cas le nombre de survivants est infime et que l'errance forme un support essentiel de l'action, il n'en demeure pas moins que le roman d'Emily St. John Mandel n'est pas totalement noir. D'ailleurs, du haut de la tour de contrôle de Severn City, Kirsten finira par entrevoir une possible lueur d'espoir.

 

 

• Emily St. John Mandel : Station Eleven. Traduit de l'anglais par Gérard de Chergé. Rivages, 2016, 477 pages. [Knopf, 2013].

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE CANADA
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