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Depuis l'ouvrage pionnier de Jules Michelet, l'histoire, le roman et le cinéma se sont penchés sur les sorcières. On en trouve quelques exemples sur ce blog. Avec le cas imaginaire d'Anna Thalberg, le jeune romancier mexicain Eduardo Sangarcia décrit une affaire de sorcellerie au début du XVIIe siècle sur les terres du prince-évêque de Wurtzbourg, prélude à une folie d'exécutions de sorcières dans l'espace rhénan déjà affecté par les conflits religieux des générations précédentes.
Anna Thalberg et son époux Klaus sont des travailleurs agricoles nouvellement installés dans une chaumière du village d'Eisingen. Alors que la sécheresse s'est installée dans la région, « la rousse, l'étrangère aux yeux de miel » exerce une attraction sexuelle sur les maris. Tout ce qui va de travers au village lui est vite imputé par de méchantes langues comme Gerda la voisine. Celle-ci est tellement remontée contre Anna qu'elle est allée elle-même à pieds jusqu'à Wurtzbourg pour dénoncer la sorcière auprès de l'« examinateur », le terrible Vogel qui traque les sorcières de la principauté au nom de l'évêque. Aussitôt la machine ecclésiastique se met en branle. Les atroces séances de torture doivent aboutir aux aveux d'Anna, qui pourtant résiste vaillamment aux tortionnaires et à la poire d'angoisse. Le curé Friedrich, remué par la mort de son frère mécréant et les violences qui ont coûté la vie à ses neveux, prend à cœur la cause de sa paroissienne qu'il sait bonne catholique. S'il ne peut empêcher qu'on allume le bûcher, l'entêtement du prêtre pour que la charité triomphe est salué par le romancier qui dénonce avec force la perversité du fanatisme, l'arrogance du clergé et l'aveuglement populaire.
L'originalité de ce court roman n'est pas à chercher dans le champ historique — encore que des épisodes antérieurs soient évoqués — mais à trouver dans la structure narrative. Des chapitres qui n'ont qu'un point final, une marge importante pour décaler des séquences de pensées intimes, une disposition en deux colonnes pour la confrontation d'Anna avec le confesseur Hahn (deux petits chapitres remarquables): voilà pour l'apparence du texte. Mais plus importante que ces dispositifs formels est la qualité d'une écriture qui reprend avec talent les sentiments personnels des acteurs du drame, la force de caractère d'Anna et du curé d'Eisingen, et même, en un sens, la présence du Diable.
• Eduardo Sangarcia : Anna Thalberg. Traduit de l'espagnol par Marianne Millon. Éditions La Peuplade (Saguenay, Québec), 2022, 158 pages.
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