Combattante farouche de la laïcité, Caroline Fourest se fait whistle-blower (lanceur d'alerte) dans cet essai fort bien documenté dénonçant les nouveaux tartufes porteurs d'une sorte d'hérésie grandie en Amérique du Nord. Se camouflant sous un drapeau de gauche, c'est une véritable police de la culture et de la pensée qui est à l'œuvre dans le milieu du cinéma, du théâtre, et même à l'université. Les nombreux cas qu'examine Caroline Fourest font de cet essai féministe, antiraciste et universaliste — oui, un véritable essai, pas un pamphlet ! — une lecture tonifiante qui doit susciter notre indignation citoyenne.
Tout vient du dévergondage de l'idéologie victimaire et identitaire. Lointainement née de l'antiracisme, une dérive extrémiste s'est fondée sur un détournement de l'idée d' « appropriation culturelle » dont seraient victimes les minorités (afro-américains, amérindiens…) voire n'importe quelle culture à condition qu'elle ne soit ni blanche ni occidentale. C'est un racisme inversé qui dénie à un acteur ou un actrice la possibilité d'incarner tel ou tel rôle car sa peau et son ADN diffèrent — au risque de ne rien comprendre au principe même de la création théâtrale et cinématographique. Caroline Fourest s'appuie sur des pratiques concernant Hollywood et, puisque le mal a gagné le Canada, sur la guerre déclarée à la pièce Kanata née de l'association entre le metteur en scène québécois Robert Lepage et le Théâtre du Soleil d'Ariane Mnouchkine, au nom de l'appropriation culturelle du patrimoine amérindien. Toute ouverture culturelle est ainsi massacrée. Déjà en 1987 Allan Bloom avait publié The Closing of the American Mind. Prophétique.
Les analyses de notre auteure sont particulièrement caustiques quand elle aborde les faits dans telle ou telle université des États-Unis. Qu'il est facile de se dire offensé parce qu'un cours, un livre, un auteur vous choquent un petit peu ou beaucoup ! Trop facile : on échapperait à l'argumentation, à la connaissance, à l'altérité, à un contexte différent de celui dans lequel on se sent confortablement victime. Ad vitam aeternam... Alors pourquoi fréquenter l'université ? Ces “étudiants” si fragiles qu'ils réclament un « safe space », une espèce de « panic room », pour survivre aux cours, rêvent probablement de rester coincés dans leur enfermement identitaire de victimes anachroniques. En prenant congé de l'Alma mater ils économiseraient les scandaleux frais universitaires américains qui — bizarrement — ne semblent pas les offenser. Et pour cette raison il est parfois assez difficile de prendre au sérieux ces jeunes tartufes, quand leurs cruels forfaits — professeurs virés, conférences supprimées, etc — amènent plutôt à les dénoncer comme de nouveaux talibans. Vu les exemples qu'utilise Caroline Fourest, il est clair que le péril a déjà pénétré dans de prestigieux établissements de Paris (Science Po…) et de Bruxelles (ULB) par le biais de commandos “étudiants”. Face à cette « guerre culturelle », un réarmement moral s'impose pour sauver les valeurs, la liberté d'expression et l'antiracisme spécialement. À moins qu'on ne préfère la « retribalisation » et ne plus faire société...
Devant les sottises de ces soi-disant mais dangereux “offensés”, l'auteure adresse des louanges à l'esprit de résistance qui anima et honora des personnalités aussi diverses que Madonna, Kathryn Bigelow (suite à son film Detroit) ou Ariane Mnouchkine. Un essai à lire d'urgence.
(Après la lecture de ce livre, on apprend le nouveau titre du roman d'Agatha Christie : Dix petits… chut ! Triomphe de l'hypocrisie…)
• Caroline Fourest – Génération offensée. De la police de la culture à la police de la pensée. Grasset, 2020, 156 pages.