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Le célèbre poète russe s'est aussi affirmé comme un admirable prosateur. Ce court roman rédigé en 1832-1833 offre le récit d'une tragique rivalité entre barines, croisée avec l'esquisse d'une histoire d'amour.

 

Jadis général, heureux père de la belle Marie et du petit Sacha, Cyrille Petrovitch Troïékourov possède un vaste domaine, Pokrovskoïè. Il se prend pour le vulgaire parrain incontournable de toute la région. Un seul ami échappe à sa morgue, Andreï Gavrilovitch Doubrovski, dont la fortune est au contraire très réduite. Or, voilà qu'à l'occasion d'une partie de chasse une brouille fatale éclate entre les deux hommes à la suite des propos désobligeants d'un valet chargé de la meute. La brouille devient conflit. Avec la complicité de l'assesseur du tribunal Chabachkine, l'irascible et intrigant Troïekourov trouve le moyen de prononcer la confiscation du domaine de son ancien ami à Kisténiovka. Son fils Vladimir à peine revenu de la Cour, l'infortuné Doubrovski père meurt d'une crise cardiaque. Vladimir n'a que 23 ans mais sur son domaine tous comptent sur lui. Bientôt l'assesseur Chabachkine et le chef de la police viennent pour notifier que le domaine appartient désormais à Troïékourov et ils restent passer la nuit. Mauvaise idée et trop de vodka... Durant leur sommeil le chef de la police, l'assesseur Chabachkine, son greffier et son secrétaire périssent dans l'incendie de la modeste demeure seigneuriale des Doubrovski. Le lendemain, le jeune Doubrovski et ses valets ont disparu.

 

Bientôt Doubrovski devient un brigand de grand chemin. Lui et ses hommes s'en prennent aux riches. Toute la région tremble. À Pokrovskoïè pour la fête patronale du 1er octobre, les invités de la famille Troïékourov racontent à table comment ça se passe, comment les domaines sont attaqués, et comment les bijoux et les roubles changent de main. Que fait la police ? Son nouveau chef n'a qu'une vague fiche signalétique à leur lire. Parmi tous ces invités Antoine Pafnoutyitch, qui porte sa fortune dans une bourse sous sa chemise, semble bien inquiet. Ce que lui et les autres ne savent pas c'est que Doubrovski est à table avec eux !

 

Comment cela peut-il se faire ? Cyrille Petrovitch, malgré son manque de culture, a cependant souhaité un précepteur pour éduquer son fils Sacha. Un jeune Français de 23 ans, Deforges, est recruté. Il donne satisfaction, moins d'ailleurs par son zèle de pédagogue que pour avoir tué l'ours avec lequel Troïékourov voulait lui faire peur, comme il en est coutumier avec ses invités. Dès lors Deforges a gagné sa confiance et flirte tranquillement avec Marie sous prétexte de leçons de chant. Mais en réalité le nommé Deforges n'est jamais arrivé à Pokrovskoïè : Doubrovski l'a rencontré dans un relais de poste, l'a grassement indemnisé pour rentrer en France. Il lui a demandé son passeport et sa lettre de recommandation... et lui qui comme tant de jeunes nobles russes de l'époque maîtrisait parfaitement le français a pris sa place auprès de Sacha et de Marie Kirilovna. Celle-ci ne tardera pas à connaître la véritable identité de ce précepteur attentionné dont elle est devenue amoureuse mais qui doit fuir car les mailles du filet se resserrent. Ils conviennent cependant d'un moyen pour communiquer.

 

Comme son père a décidé de la marier à un prince certes un peu trop âgé mais immensément riche — trois mille âmes et le château d'Arbatovo qui domine la Volga — Marie espère néanmoins pouvoir compter sur Doubrovski pour empêcher ce mariage qu'elle ne veut pour rien au monde... On n'en dira pas davantage.

 

 

Ce roman terriblement bien ficelé nous permet aussi de mieux connaître la société russe au début du XIXe siècle, et la vie des grandes familles sur leurs terres. Les hommes s'intéressent beaucoup à la chasse. Les jeunes femmes cultivent les lettres anglaises et françaises. Ainsi Marie Kirilovna a-t-elle dévoré les romans gothiques d'Ann Radcliffe. Ce goût littéraire se retrouve dans d'autres textes de Pouchkine. C'est ainsi que dans sa nouvelle Roslavlev, Pauline, qui dédaigne la langue russe, avait lu Montesquieu et Crébillon et connaissait Rousseau par cœur tandis que dans le bref et inachevé Un roman par lettres, Liza savourait Clarisse Harlowe de Richardson quand son amie Sacha lui préférait Walter Scott.

 

Alexandre Pouchkine : Doubrovski. - Traduit du russe par Gustave Aucouturier. Disponible Folio bilingue (n° 104), 2002, 288 pages, ainsi que dans les Œuvres de Pouchkine en Pléiade (pp. 351-426) avec, entre autres, Roslavlev et Un roman par lettres.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE RUSSE
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