« Le processus de grignotage de sa mémoire avance » remarque l'auteure. « Avant qu'elle s'en aille » plus encore, Maïa Kanaan-Macaux montre à sa mère, âgée de quatre-vingt trois ans, des photos de leur famille autrefois. C'est ainsi que s'élabore ce récit en partie autobiographique, où le bonheur de l'enfance s'efface trop vite devant les tragédies contemporaines.
Maïa et son frère Jean-Selim, de deux ans son aîné, éprouvaient une grande admiration pour leur père. Ingénieur agronome d'origine égyptienne, il travaillait à la FAO pour le compte de l'ONU et multipliait les missions. Les deux enfants vécurent à l'étranger, en particulier en Chine et en Italie, et ne découvrirent la France que vers douze, quatorze ans, pour poursuivre leurs études. Homme courageux et doux, ils rêvaient leur père comme un aventurier. Maïa n'attendait que ses retours, comme le confirme sa mère : « Dès qu'il était là tu vivais à nouveau ». Elle avait quatorze ans lorsqu'il décéda seul à Pékin d'une crise cardiaque.
Cette mort fut pour les deux enfants un tsunami, mais non pour leur mère. Partie en Chine pour rapatrier le corps du défunt « elle n'est jamais complètement revenue » et « tous les jours elle disparaissait un peu plus » déplore sa fille. « Elle a quitté notre navire en même temps que lui ». La mère s'est éloignée de plus en plus de ses enfants pour s'investir dans des activités professionnelles et refaire sa vie à Rome avec Giorgio. La famille, leur « boussole », fut à jamais brisée. L'auteur ne cache pas sa rancoeur à l'égard de sa mère : « sa sacro-sainte liberté était notre entrave » regrette-t-elle.
En conséquence, privés d'une vraie présence parentale, Jean et Maïa se sont soutenus l'un l'autre en une relation très fusionnelle jusqu'au sortir de l'adolescence. On peut ainsi comprendre la violence du traumatisme qui frappa l'auteur lorsqu'elle apprit la mort de son frère, victime d'un attentat en Irak. Mais elle ne sombra pas dans le désespoir : elle attendait sa seconde fille, sa belle-soeur avait accouché d'un garçon : son frère vivrait encore !
En poste à l'ONU ou en service dans l'humanitaire, le père et le frère de l'auteure ont donné leur vie pour en sauver d'autres. Maïa et sa belle-sœur auront à cœur d'enseigner leurs valeurs à leurs propres enfants. Productrice d'événements culturels, Maïa Kanaan-Macaux sait varier les registres et retenir l'émotion ; on lirait avec intérêt ses prochains romans .
• Maïa Kanaan-Macaux : Avant qu'elle s'en aille. Julliard, 2020, 178 pages.
Chroniqué par Kate