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Cet essai paru en 2014 a fait la notoriété de son auteur. Il en a fait un prophète et quelques années de recul ne font que confirmer cette impression. S'appuyant sur de nombreuses statistiques, mais écartant certains concepts de l'INSEE comme l'ancienne opposition entre « urbain » et « rural », Christophe Guilluy dessine une France découpée — d'un point de vue autant économique, social et culturel que spatial — entre une minorité bénéficiaire de la mondialisation, et une majorité qui en est victime. Il en déduit des conséquences politiques que les années suivant sa parution ont déjà confirmées. Aussi retiendra-t-on que ce livre était prophétique.

 

 

D'un côté les métropoles, dynamiques, profitant de la « main invisible » de la mondialisation. Les 25 aires urbaines les plus peuplées agencent « la polarisation du marché de l'emploi ». Ces « territoires mondialisés » participent à l'essentiel de la création de richesse, la seule métropole parisienne générant un tiers du PIB français. C'est là qu'on approuve le plus la mondialisation, l'ouverture des frontières, la libre-circulation des hommes, des idées, des techniques et des marchandises. Ces métropoles regroupent de plus en plus les cadres : cas extrême, à Paris entre 1968 et 2006 leur proportion est passée de 15 à 42 %. Les banlieues de ces métropoles mondialisées concentrent une population fortement immigrée qui s'intègre dans la vie économique, notamment avec les emplois du secteur de la logistique, mais conserve beaucoup de « valeurs traditionnelles » au sein des familles. Ainsi « le clivage social tend à recouvrir un clivage ethnique » et dans ces vastes agglomérations s'affirme le modèle multiculturel.

 

De l'autre côté, la France périphérique, avec 90 % des communes et plus de 60 % de la population. Celle du réseau des villes petites et moyennes, des espaces ruraux, des espaces abandonnés par le reflux des vieilles industries. C'est la France du chômage accentué par la crise de 2008, touchée par les plans sociaux, par la précarisation des classes populaires et modestes. C'est là que l'abstention aux élections et que le vote FN ont le plus augmenté par effet de l' « insécurité sociale » qui affecte la population, résultat de la raréfaction de l'emploi et des équipements. Là, le modèle multiculturel ne passe pas.

 

Dans cette France coupée en deux parties inégales, Guilluy annonce l'implosion et la chute de la classe moyenne, ce qu'il a repris dans No Society.

 

 

En même temps, Christophe Guilluy explique l'évolution politique du pays par le décryptage des résultats électoraux récents, particulièrement les présidentielles de 2007 et 2012. L'effondrement des partis de gouvernement — naufrage du PS, chute de l'UMP devenue LR — conduit à l'implosion « du monde politique d'avant ». La bipolarisation s'est épuisée : gauche et droite modérées n'ont plus assez de consistance pour gouverner en alternance. Le lecteur de cet essai remarquera que la campagne d'Emmanuel Macron et son élection en 2017 avec La République en Marche correspond tout à fait aux propos de l'auteur en 2014. La France des métropoles a voté Macron et LREM. Mais tel n'est pas le choix de la France périphérique…

 

L'électorat populaire a commencé à choisir le vote FN à la fin des années 1980. « Ce n'est pas le Front national qui est allé chercher les ouvriers, ce sont ces derniers qui ont utilisé le parti frontiste pour contester la mondialisation et s'inquiéter de l'intensification des flux migratoires » note Christophe Guilluy en ajoutant que Marine Le Pen « adapte désormais son discours à la nouvelle sociologie de ses électeurs ». Aussi faut-il cesser de considérer le « populisme » avec le « regard condescendant » des intellectuels qui dénonçaient « le faible niveau scolaire des électeurs du FN, qui seraient peu éduqués, presque débiles » et de « vieux qui ne comprennent rien au monde ». Pour Guilluy, l'électorat frontiste est composé d'actifs et de jeunes qui ont très bien compris les malheurs engendrés par la mondialisation.

 

L'essai annonce effectivement le mouvement des Gilets Jaunes quand il souligne les difficultés de la mobilité, notamment professionnelle, quand on habite la France de la périphérie et que l'on doit compter sur la voiture pour aller à un travail lointain ou à un service public qui s'est raréfié comme une peau de chagrin et éloigné de ses usagers. L'auteur aurait pu insister sur ces fermetures de gares, de postes, de maternités, de commerces… qui affectent la vie quotidienne dans la France périphérique.

 

Une contre-société est en train de naître loin des métropoles. La tendance est à la sédentarisation, au repli sur « le village », à l'identité et aux racines : à l'opposé de l'homme hyper-mobile des grandes métropoles où l'idéal multiculturel tend à effacer les valeurs de la République.

 

Christophe Guilluy. La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires. Flammarion, 2014. Réédition : coll. Champs, 2015, 185 pages.

 

 

 

Tag(s) : #SOCIETE, #ESSAIS
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