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Après Civilisation et Bilan de faillite, notre médiologue et moraliste— autrement dit « Grand Papa Ronchon » — découvre l'obsession écologique, nouvelle urgence de notre époque, et la soumet à une analyse sans complaisance. Le pamphlet jongle avec l'histoire des idées et l'on pourrait jouer à retrouver ses mille références. Je ne retiendrai ici que quelques grands axes.

 

Comme toujours Régis Debray montre une formidable capacité à synthétiser en quelques pages l'évolution de l'Occident. Ici, c'est l'« ère faustienne » d'où nous sortons. L'homme « faustien » voulait la performance, la vitesse et dominer la nature. « Citius, altius, fortius » était sa devise aux jeux olympiques de l'économie et de la technique. Maintenant il a « pris un coup de vieux » et désormais « l'aspiration générale est au soft, au light et au fun ». L'air du temps s'est apaisé et s'est « féminisé ». Le « présentisme » règne : il occupe la place des idéologies portées par l'Histoire auxquelles notre bon Régis croyait dans sa folle jeunesse. Le nouveau siècle a honte de l'exploitation de la nature par l'homme. L'idéal nouveau est à la transparence, à l'instar de l'Europe du Nord qui sert de modèle.

Oublié le Tiers-Monde, oublié le prolétariat. L'urgence c'est de sauver le climat. Une nouvelle religion est née. Elle a ses hérétiques, les climato-sceptiques. Elle a ses prophètes de malheur qui clament « l'extinction de l'espèce d'ici cinquante ans ». Elle a son clergé, les ONG aux noms anglo-saxons. Elle a ses pratiquants de stricte observance : les véganes... Elle a sa novlangue riche en préfixes bio- et éco-. Régis Debray n'en finit pas d'ironiser tout en révélant mille choses vraies sur ce monde en transition écologique.

L'auteur qui refuse, ô combien, le simplisme — selon lui une « arme de destruction massive » ! — traduit cette évolution contemporaine comme un glissement de l'Esprit sans la Nature vers la Nature sans l'Esprit. Un rappel historique fondé sur les Avant-gardes des années « fabuleuses », 1900-1925, sert le cheminement de sa thèse et la confirme. « Courant trop vite et trop loin, l'intellect a fini par nous lâcher en chemin ». Après les excès de négation du naturel, c'est donc bien compréhensible si « le naturel se venge et revient au galop ». Tous les arts vivent cette revanche du ressenti, de l'expérience, du corporel, de l'incarné. La tentation du vert est-elle en train de tout emporter ?

 

En quête d'un juste milieu, Régis Debray nous met finalement en garde contre le risque de dérapage vers l'horreur écologique à l'exemple du film Soleil vert de Richard Fleischer (1973). « Le lendemain qui déchante est une boite à malice sans fin ni fond (…) Ça douche à chaque fois l'enthousiasme ». Chat échaudé craint l'eau froide : méfions-nous du vert qui vient comme du rouge qui s'est évanoui. 

 

En bref, voilà un essai roboratif pour amateur d'idées fortes et d'écriture tonique ! Et le débat est ouvert…

 

Régis Debray : Le Siècle vert. Un changement de civilisation. Gallimard, "Tracts", 2020, 56 pages.

 

Tag(s) : #ESSAIS, #SOCIETE
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