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Un pastiche de roman américain ? "L'Absolue perfection du crime" n'était-il pas déjà un pastiche ? De polar français, il est vrai.  Avec "La Disparition de Jim Sullivan" Tanguy Viel nous offre un pastiche de "roman américain" sinon de roman "international" ainsi qu'il appelle ceux qu'on traduit dans toutes les langues de la mondialisation : comme ceux de Michael Connelly, de John Grisham, ou de Robert Littell. Mais un concentré —150 pages— parce qu'un auteur français sérieux n'a pas besoin d'en rajouter quatre cents cinquante de plus, contrairement par exemple au Tom Wolfe de "Bloody Miami", pour extraire une pépite de toute une fichue gangue de scories. Peut-être aussi qu'on aime plus nos forêts qu'eux... Ou simplement « par crainte d'être ennuyeux ». Allez savoir!

Vous connaissez, vous, la recette du "roman américain" ? Il faut choisir une ville. Non pas le New York de Paul Auster ni le Los Angeles de James Ellroy. Ici ce sera Detroit, malgré sa décadence depuis que ses usines ont rouillé ou migré vers le Sud profond. Il faut aussi de grands espaces genre "wheat belt" ou "corn belt", traversés par des autoroutes rectilignes à six voies, où la vieille Dodge Coronet modèle 1969 montre encore sa puissance quand Dwayne Koster est au volant. Il faut des lacs et de la verdure autour, des cabanes pour les pêcheurs du week-end, qui iront, avec les "bikers", faire le plein de budweiser à la cafétéria, —servis par la ravissante Milly Hartway, qui paie ainsi ses études de lettres—, avant d'aller louer des films X qui dévoileront les charmes de l'étudiante délurée.

Pour écrire un "roman américain", il faut un professeur d'université, « souvent à Yale ou à Princeton, en tout cas un nom qui résonne à travers le monde entier…» Tel est notre Dwayne Koster, professeur à Ann Arbor et spécialiste de "Moby Dick". De lointaine origine hollandaise il a épousé Susan et ils sont venus habiter dans une banlieue chic et sûre et organisent par conséquent des barbecues géants avec leurs voisins. Auprès des étudiants, Dwayne Koster a moins d'audience qu'Alex Dennis, spécialiste de la « beat generation » et par ailleurs le chaud lapin qui a séduit Susan. « C'est un point très important du roman américain, l'adultère.» Une bonne âme, une voisine, laissera entendre à Susan que Dwayne et Milly prolongent avec assiduité les cours dans les chambres des motels…

« C'est vrai, disait Dwayne, notre histoire ressemble à un roman, on dirait du Jim Harrison, tu ne trouves pas ? Et elle lui répondait que non, que c'était une histoire pour une femme, une histoire pour Laura Kaschichke ou Joyce Carol Oates. Ou bien du Richard Ford, songeait-il en regardant un papillon nocturne s'agacer sur le plafonnier. Peut-être Alice Munro, pensait-elle. Non, je sais, reprenait-il, c'est du Philip Roth…»

Fatalement, on va vers le divorce, après quoi Dwayne plongera dans la dépression et sortira du droit chemin. Le roman psychologique va-t-il se changer en polar avec trafic d'antiquités importées clandestinement de Bagdad pour le compte du trouble Lee Matthews ? En roman d'espionnage avec agent du FBI ? Voire en roman de science-fiction ? Car, vous le savez bien, le chanteur Jim Sullivan a été enlevé par des extra-terrestres quelque part du côté d'El Paso...

Tout cela forme une réussite espiègle qui enchantera le lecteur français. En revanche, le succès à l'international ne sera pas celui d'un John Irving ou d'un Stephen King, la force de Tanguy Viel et le charme de ce roman consistant d'abord à multiplier les clins-d'œil complices au lecteur. Et puis le narrateur joue constamment à revenir sur les interrogations qu'il a eues en écrivant "La Disparition de Jim Sullivan". « J'ai souvent hésité pour savoir dans quel ordre raconter toute l'histoire » nous confie-t-il benoitement, d'autant qu' « en matière de roman américain, il est impossible de ne pas faire de flash-backs, y compris des flash-backs qui ne servent à rien…» Malgré l'absence de représentants des minorités, le roman est fidèle « aux grands principes qui ont fait leur preuve dans le roman américain » et en conséquence, le lecteur pourra se réjouir de retrouver en pensée les vrais romans américains qu'il a déjà lus.

 

• Tanguy VIEL : La disparition de Jim Sullivan. Éditions de Minuit, 2013, 153 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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