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Renaissances-africaines.jpegM. Z. Kessy, chef d'entreprise ivoirien directeur d'une multinationale européenne, passeur entre deux cultures, livre le témoignage de son engagement pour son village, Yacolidabouo, près de Soubré. Il analyse également les forces et les faiblesses du Continent noir, en dégage quelques causes et avance des solutions possibles aux actuelles difficultés de l'Afrique.
M.Kessy est un homme de terrain : formé en Europe, il a échoué à greffer sur son village le mode de développement occidental "clé en main" et a pris conscience de la nécessité de faire accepter aux villageois leur propre développement endogène et de les y associer. Son erreur fut celle de l'Occident qui n'a pas pris le temps de comprendre les spécificités des cultures africaines et leur a imposé ses valeurs et ses modes de fonctionnement.

Certes "la colonisation a détruit l'Afrique" en brisant son propre rythme de développement. Mais Marcel Zadi Kessy relativise : l'Afrique y a gagné des technologies modernes, y a appris la rigueur, l'éducation et la formation. Il faut cesser d'accuser la colonisation de tous les maux actuels : le ressentiment et la victimisation empêchent les Africains de prendre en main leur avenir. Car, quoi qu'ait prétendu Sarkozy dans son discours de Dakar, irrespectueux et choquant pour Kessy, l'Afrique a toujours été dans l'histoire, mais à son rythme.
Elle doit retrouver sa voie propre, renoncer autant au paternalisme de l'aide internationale qu'à la corruption entretenue par la Françafrique. Son avenir s'ouvre vers la Chine et le Brésil : la France n'est plus qu'un "partenaire historique" à moins de modifier son regard sur les Africains.
M.Kessy le répète : il est urgent de relancer le développement économique, d'en convaincre les chefs coutumiers, les cadres comme les villageois en leur confiant des responsabilités locales : inutile d'imposer règles et réformes d'en haut : toute perspective de changement est à faire accepter dans le quartier, le village : dans la proximité.
Connaître et comprendre les traits spécifiques des mentalités africaines reste essentiel : établir la confiance, fondement de toutes les relations humaines en Afrique, nécessite patience et palabre : elle fonde les liens et obligations de la solidarité financière — véritable "impôt culturel" — qui  compense le manque d'assurances sociales et remplace l'État. Dans ces sociétés de pénurie, nul ne devient responsable politique en fonction d'un idéal ou d'un projet national, mais pour s'enrichir et en faire profiter sa famille élargie, et sa tribu. De plus, le bien privé n'existant pas en Afrique où tout est en commun, le détournement du bien public reste une idée étrangère aux hommes politiques. On fait alors difficilement la différence entre le devoir de solidarité et la corruption.
Toujours pris dans un lignage, entre grands frères et tontons, obéissant au "chef-papa", l'homme africain n'a développé ni le sens du travail personnel ni celui de la responsabilité individuelle. ll faut y former les esprits d'autant plus que, malgré la forte implantation du Christianisme et de l'Islam, sorciers, guérisseurs et "mangeurs d'âmes" conservent leurs pouvoirs. L'homme africain ne se sent jamais responsable de ce qui lui arrive : les soucis financiers, la maladie ou la mort résultent toujours à ses yeux de forces nuisibles dont il se croit victime.

Même si le poids des traditions recule, le pouvoir des chefs coutumiers prévaut encore jusque dans les villes africaines. Selon M.Kessy, il faut le démystifier : aucun Africain ne vote pour une tendance politique, mais pour celui qui lui procure des subsides et divers avantages. La solidarité ethnique génère le tribalisme politique et le pluripartisme ne fait qu'aggraver la corruption et les tensions inter-ethniques. En outre, l'idée même de compétition pour un poste politique reste étrangère aux mentalités africaines, profondément monarchistes. Le Roi vient au pouvoir selon son âge, tout arrive à son heure ; l'homme africain ne sait guère anticiper ni se projeter dans le futur : ainsi, par exemple, économiser reste un projet lent à faire accepter.
M.Kessy parle de son pays, la Côte-d'Ivoire, où tous les problèmes se sont aggravés depuis 2002 ; mais ce fervent partisan d'Houphouët Boigny parle aussi pour tout le Continent noir : il faut cesser d'accuser la colonisation et les esprits maléfiques, faire accepter, de quartiers en villages, la nécessité d'évoluer sans rejeter toutes les valeurs et les coutumes. La conception occidentale de la démocratie n'est pas une priorité en Afrique où elle engendre désordre et désolation. Si la France s'efforçait de comprendre l'Afrique, elle pourrait accompagner son développement économique autonome.

Marcel Zadi KESSY - Renaissances africaines

Le continent noir décrypté par l'un des siens. Conversations avec Jean-Luc Mouton. - Éditions des îlots de résistance, Paris, 2010, 203 pages.

 

L'Afrique est-elle si bien partie ?

À propos de :

- Severino : Le Temps de l'Afrique.
- Kessy : Renaissances Africaines.
- Bamony : Pourquoi l'Afrique si riche est pourtant si pauvre?
- Article de Zinsou : Le Monde - 7 Mai 2011
- Article de S. Brunel : Sciences Humaines - Avril 2011.

Kessy, Bamony, Brunel, face aux Zinsou et Severino, afro-pessimistes et afro-optimistes s'affrontent quant à l'avenir radieux qui s'ouvrirait désormais devant l'Afrique subsaharienne. Certes, avec 5% de croissance économique, elle peut espérer devenir "l'atelier du monde". Certains pays ont assaini leur économie et "décollent" (Afrique du Sud, Ghana, Mali ..). De plus "la Chine investit l'Afrique et investit en Afrique"(Brunel), tout comme l'Inde : l'immensité des terres africaines cultivables leur permet, ainsi qu'à l'Arabie Saoudite, d'y développer l'agriculture nécessaire à leurs populations ; et l'ingérence écologique de l'Occident s'accentue : hydroélectricité, parcs naturels…Sans parler de la manne pétrolière, au Nigeria entre autres.

Mais si le continent noir est de plus en plus riche, le nombre de pauvres ne cesse d'augmenter et les inégalités sociales s'accentuent, même si émerge une importante classe moyenne. Tous les analystes mettent en cause les responsables politiques africains intéressés par ces rentrées d'argent mais insoucieux d'une véritable redistribution des richesses ; Kessy et Bamony s'accordent à dénoncer la corruption et le népotisme des chefs coutumiers comme des présidents : tous entendent s'enrichir, enrichir leur clan et mourir au pouvoir. Ils n'ont aucune vision d'avenir pour leurs peuples qu'ils méprisent . Toutefois, si Bamony estime que la démocratie reste le seul salut pour les États africains, Kessy pense, au contraire, que le régime politique est secondaire : il faut d'abord éduquer les mentalités à la responsabilité individuelle, à tous les niveaux sociaux. 

Le poids de la coutume grève donc l'avenir de l'Afrique subsaharienne —même si l'Afrique orientale semble progresser: que les parcs naturels et la riziculture chassent les éleveurs de leurs terres, que s'accentuent l'exode et l'appauvrissement des populations rurales : peu en chaut aux hommes politiques africains tant qu'ils ne se sentent pas responsables de leurs peuples ; à leurs yeux, désormais, "mieux vaut la croissance que la démocratie"(Brunel) : tant que cet état d'esprit ne le cédera pas au souci de l'intérêt général, les jeunes africains, diplômés et chômeurs, continueront de tenter leur chance en Europe.

Le projet de Khadafi — soutenu par Bamony — de réaliser un unique état politique africain changerait-il la donne? L'antienne française de la bonne gouvernance dans le respect des droits de l'homme a-t-elle quelque poids face à la manne en dollars.

 

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Tag(s) : #SCIENCES SOCIALES, #AFRIQUE, #ESSAIS
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