Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Paasilinna.jpegComme "Le Lièvre de Vatanen" à travers les provinces finlandaises, "Les dix femmes de l'industriel Rauno Rämekorpi" organise un parcours picaresque dans l'agglomération d'Helsinki ; c'est encore une coupe géologique dans l'épaisseur de la société du pays. 

Rauno a soixante ans et ça se fête. Peut-être pas comme vous l'auriez fait ! - Riche industriel, et promu conseiller à l'industrie, il reçoit ses invités de manière quelque peu expéditive sous prétexte que sa femme Annikki est allergique aux parfums des fleurs. Or des fleurs, il en a reçu superbement de ses amis et de diverses institutions du pays. Du champagne aussi, beaucoup. Alors, après la fête, quand Annikki lui commande d'aller se débarrasser de toutes ces fleurs qu'elle ne supporte pas, Rauno va faire une visite avec fleurs et champagne, à chacune de ses amies, maîtresses, et ex-femme. La tâche est considérable et il loue les services de Seppo, un chauffeur de taxi de tellement bonne volonté qu'il fait passer la Finlande pour le paradis de l'usager qui doit prendre le taxi. Il faut surtout remarquer les visites de Rauno ne se limitent pas à offrir des fleurs à un large éventail de femmes... Au point qu'il en oublie sa propre épouse et son numéro de téléphone — Nokia évidemment !

Séance de sauna, essayage de literie ancienne dans un musée, querelles avec le petit ami ou l'ancien partenaire, défenestration de meubles, les amies de Rauno ne lui offrent pas que des parties de jambes en l'air. Lorsque le lecteur a bien assimilé le caractère lourdement répétitif du scénario, l'auteur le renouvelle avec la variante du père Noël. En compagnie du même serviable taxi, Rauno se lance à la veille du 25 décembre dans la distribution de cadeaux coûteux aux mêmes personnes du sexe féminin, manteau de vison par exemple : « Le PDG s'était bien souvenu des mensurations de sa femme de ménage.» Mais cette fois-ci, ces dames — Tarja, Eila, Tuula, Sonja, Eveliina, Saara, Kirsti, Irja et Ulla — lui seront-elles aussi spontanément reconnaissantes qu'à la tournée précédente ? Les rumeurs sur les exploits du "vieux cochon" avec ses "salopes" ne risquent-elles pas d'atteindre la place publique ? Comment Annikki réagira-t-elle ? 

Rien, on le voit, que de très facile à comprendre... Pour agrémenter le vaudeville, Paasilinna ajoute des considérations sur les réalités sociales de la Russie dont la Finlande fut une province avant 1917 : « Doux Jésus !Tout le vaste empire sentait la vodka, de Saint-Pétersbourg et Moscou aux régions les plus reculées de Sibérie, et bercés par le son de l'accordéon, les Russes somnolaient à demi-inconscients, n'attendant que de sombrer dans le comas, la bouteille vide à la main, leur chemise maculée de vomi et d'un cornichon malossol entamé.»

Et dans cette Russie d'antan, une figure enchante notre conseiller, celle de Raspoutine le séducteur : « Rauno Rämekorpi (…) confia avoir beaucoup réfléchi au destin de ce débauché qui avait fréquenté la cour impériale au début du XXe siècle. Raspoutine était au départ un moujik sibérien, un fol en Christ aux yeux de braise qui avait parcouru toute l'immense Russie en prêchant d'une voix aiguë tout en roulant des yeux. Il avait séduit de nombreuses femmes et réussi avec habileté à s'insinuer dans les plus hautes sphères de l'Etat, en tant que confident de la tsarine et conseiller du tsar en personne.» Comme les aventures de Rauno avec Kirsti se passent au Musée National, l'auteur décrit un tableau représentatif  de l'art pictural finlandais : « Les convives contemplaient sans mot dire le grand tableau allégorique d'Eeoto Isto montrant l'aigle russe à deux têtes en train d'arracher son recueil de lois des blanches mains d'une demoiselle affolée personnifiant la Finlande. Sous un ciel chargé de nuages noirs, on aperçoit, loin à l'horizon, un mince filet de lumière, symbole de l'espoir naissant d'un avenir meilleur. »

 

                 Eeto-Itso.jpeg

 

Après l'art et l'histoire, Rauno Rämekorpi aborde aussi l'économie politique : « Il déclara que le système des stock-options, entre autres, était aberrant. Une entreprise saine ne récompense pas ses dirigeants par des pots de vin, ce qu'étaient en réalité ces rémunérations.» Voilà qui ne manque pas de sel dans la bouche d'un machiste invétéré doublé d'un arriviste sans scrupule qui pense pouvoir tout acheter — et fait expédier les factures à son usine !

 

• Arto PAASILINNA  -  Les dix femmes de l'industriel Rauno Rämekorpi

Traduit du finnois par Anne Colin du Terrail. Denoël, 2009 et Folio, 2010, 270 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE SCANDINAVE
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :