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  Un conte où les animaux parlent
Je suis devenu un inconditionnel d'Alain Mabanckou… et j'ai bien peur de perdre toute objectivité. Si au contraire on compte sur mon parti pris, c'est gagné! L'histoire du porc-épic est dans la manière de "Verre Cassé" de glorieuse mémoire, mais on s'en aperçoit plus nettement et avec satisfaction au bout de 70 pages environ. Une fois qu'on s'est convaincu que c'est pas un conte pour enfant.
 
Au début, l'écriture reste assez fidèle à la façon d'un conte où les animaux parlent — ce qui existe pas seulement en Afrique, c'est sûr. Le porc-épic raconte sa vie au baobab (qui lui se contente de faire un peu bruisser ses feuilles). Il a été le double d'un pauvre type appelé Kibandi après son initiation. Non pas un double pacifique, sorte d'ange gardien, mais un double nuisible, entendez le porte-flingue de Kibandi. Il balance ses piquants sur les victimes désignées par son maître.

 
Un polar sub-saharien
 Car le conte africain de Mabanckou prend peu à peu des allures de polar sub-saharien, et Kibandi, dont le paternel avait commis des crimes au village, n'est pas un enfant de chœur même s'il a appris à lire la Bible, comme çà dans une illumination. Kibandi est un mauvais sujet, et il est à la botte de son "autre soi même", sorte de vampire sans crocs, et ça en fait un criminel, un « serial killer ». Il tombera seulement quand il aura dépassé les bornes, et elles étaient placées sacrément loin ! Victime des affreux jumeaux Koty et Koté que même leurs parents ne savent pas reconnaître (en fait l'un est circoncis et l'autre pas). Après tant d'atrocités, le porc-épic saura-t-il se racheter ?
   
Des cercueils qui désignent les coupables
 

Il y a donc pas mal d'obsèques dans l'histoire que raconte le porc-épic. Et lorsque le cercueil contient une personne assassinée, il peut se passer des choses un peu spéciales. Pas que dans le roman. Dans la réalité aussi. Des choses un peu spéciales qui intéressent aussi les ethnologues européens –qui n'y connaissent rien– et dont l'auteur se moque en les faisant intervenir lors des obsèques au chapitre "Comment le vendredi dernier est devenu un vendredi de malheur". Des choses spéciales qu'on trouve même dans les vrais journaux. Il y a quatre ans, en préparant un cours, j'étais tombé sur une histoire semblable dans la presse ivoirienne; je cite "Soir Info" du 16 mai 2003 :

 « Le dimanche dernier 11 mai, le village d’Azaguié-Blida était en émoi. Une scène digne des mystères de l’Afrique s’y est produite. Un mort qui a refusé d’être mis en terre. En effet, le jeudi 08 mai, le jeune Mao Aristide Fabrice apprenti couturier né le 31 août 1985, décède. Le dimanche 11 mai après la prière à l’église du village pour le repos de son âme, son corps est conduit à 14h au cimetière. Mais au moment où le cercueil doit être mis en terre, il se trouve que cette manœuvre est impossible à faire. Les porteurs du cercueil comme tétanisés par une force invisible, éprouvent du mal à glisser le mort dans la tombe. En dépit des prières du prêtre, refus du cercueil de s’exécuter. A la surprise de tous, le cercueil quitte le cimetière et attire à toute vitesse, les porteurs vers le village. C’est la confusion totale. Poussés par la force invisible, les porteurs tenant la dépouille mortelle, font irruption au domicile de K.A. Mathias, instituteur à la retraite qui revient juste de l’église. Le cercueil à trois reprises, le percute. L’homme s’écroule et le cercueil se pose carrément sur lui. Aux dires des villageois cela signifierait que l'instituteur est à la base de la mort du défunt. Le vieil enseignant fait des incantations et demande au mort de le percuter une fois de plus, s’il est vraiment coupable de son décès par sorcellerie. Le cercueil le cogne une fois de plus avant de ressortir de sa cour sous les huées de la foule. Le cercueil conduit les porteurs cette fois au domicile de Etché Monney un vieux planteur également doyen de la famille du défunt et reprend le même scénario en le cognant à plusieurs reprises. L’homme est ainsi, lui aussi, désigné comme responsable de la mort du jeune couturier. Le domicile de Loba Loba dit Abobo, absent pour raison de voyage, est lui aussi visité par le cercueil. La foule se déchaîne et tente de lyncher les deux présumés sorciers. Le chef de village fait appel aux gendarmes afin d’éviter qu’il y ait mort d’homme comme cela a été le cas l’année dernière dans ce même village. Les forces de l’ordre arrivées, ont pu assurer la sécurité des accusés. Mais que de difficultés avec la foule en colère. Et comme satisfait enfin, le cercueil prend la direction du cimetière. Après des processions faites par la mère du défunt et même les gendarmes, le cercueil accepte d’être mis en terre. Il était 19h. Le lendemain, le chef convoque une réunion élargie à tous les villageois. Interrogés sur la place publique, les deux présumés sorciers en l’absence du troisième, nient être les auteurs de la mort du défunt. Cependant, ils s’engagent à rembourser tous les frais occasionnés par les funérailles du jeune couturier.»
 
Donc Alain Mabanckou est un romancier… réaliste. J'en ai apporté la preuve. C'est très sérieux ce qu'il raconte, lui, ou plutôt monsieur Verre Cassé, comme nous l'apprend l'Escargot entêté, son exécuteur testamentaire et patron du bar "Le Crédit a voyagé" (Si vous n'avez pas lu "Verre cassé" qu'attendez-vous ?). Évidemment, l'auteur a glissé, comme précédemment, des allusions littéraires : Hemingway, Edgar Poe, Quiroga, Cervantès, Victor Hugo , etc. Et aussi des insultes en langue bembé — ça c'est pour les "happy few" dont je n'ai pas l'honneur d'être. Ça serait bien que l'auteur traduise sur son blog « des types comme toi sont des foireux, des maiongi, des ngébés, des ngoubas ya ko pola.» Je lance aussi un appel aux lecteurs bilingues.  
 
 
• Alain MABANCKOU. Mémoires de porc-épic. Seuil, 2006, 228 p.


 

 

Tag(s) : #LITTERATURE AFRICAINE
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