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Dans ce roman dédié aux femmes victimes du Sahel, on retrouve la thématique du premier roman de Djaïli Amadou Amal, Les Impatientes, qui avait obtenu le Goncourt des lycéens.

L’autrice y mettait en lumière la condition des femmes des milieux camerounais aisés ; dans ce nouveau récit elle attire l’attention sur les jeunes villageoises pauvres, domestiques dans les concessions du Nord Cameroun. Elle a enquêté auprès des camerounais et deux cartes de la région ouvrent le livre : Djaïli Amadou  Amal a souci de réalisme pour mettre en scène ces deux mondes que tout sépare : celui des riches peuls, musulmans et celui des domestiques chrétiennes. Bien qu’ « inspiré de faits réels », le roman tutoie le conte merveilleux où l’amour abolit les distances sociales : Faydé et Bakar vivent une belles histoire d’amour impossible tandis que Boko Haram règne en maître sur le Nord Cameroun.

Les jeunes filles des villages pauvres de cette région émigrent à Maroua, la métropole régionale, pour trouver une place de domestique et ainsi ramener de quoi faire vivre leur famille car « dans la lutte pour la survie, le rêve n’a pas de place ». À quinze ans Faydé y rejoint ses amies Sfarata et Bintou. Kandem, sa mère, craint comme toutes les mères que sa fille ne soit violée par son patron, comme elle-même l’a été, dans cette société où le viol est une tradition et où les violeurs restent impunis. Kidnappé, Doubla son mari a disparu, la laissant seule avec quatre enfants. Dans la concession ses copines préparent la jeune fille à endurer le mépris de classe : « Tu n’es qu’une bonne, reste à ta place de bonne. Ne t’attache pas à eux ». Les domestiques subissent les humiliations et la violence des riches : ceux-ci les traitent de kadoo — d’ignorants et de mécréants. Pourtant « ils dépendent d’eux, car, dans leur paresse, ils ne savent plus accomplir les tâches ingrates et fatigantes ». Mal payées les jeunes filles grappillent quelques sous en allant au marché, subtilisent de l’huile, du sucre, des vêtements d’enfants riches, quelques couverts, menus larcins qui améliorent la vie des leurs au village. « Se payer soi-même n’est pas du vol ! » prétend Bintou une jeune fille au destin tragique. En effet, les filles se vendent à de riches amoureux, mais parfois à leurs dépens. Bintou a caché à son amant Sali sa condition sociale ; quand il l’a découverte, la jeune fille enceinte et prise au piège de ses mensonges s’est suicidée.

Néanmoins, Faydé vit une merveilleuse idylle secrète avec Bakar : situation classique de l’amour impossible puisque tout les sépare. Ce professeur musulman doit épouser Hapssi, une jeune fille de son monde qu’il considère déjà comme « une épouse oisive et inutile », alors que Faydé l’a séduit par son courage et son appétit de savoir. Même si Binto l’avait mise en garde car « tu ne peux pas être amie avec ceux qui t’emploient », Faydé s’attache à « celui qu’il ne faut absolument pas aimer », car « le cœur ne réfléchit pas et n’en fait qu’à sa tête ». Esprit moderne, cultivé, critique des traditions, Boukar dérange dans la concession. Les amants ne se cachant pas, toute la ville est au courant : le scandale éclate, Faydé et sa famille quittent Maroua pour Banyo, ville cosmopolite et tolérante au sud du Cameroun.

À la sécheresse qui tarit les puits et affame les villageois s’ajoutent les attaques de Boko Harm au nom de la soi disant guerre sainte. La secte gagne du terrain au Nord Cameroun. Un attentat kamikaze ébranle Maroua, le village de Faydé est incendié, les camps de réfugiés se multiplient. Le chômage augmente et de plus en plus de jeunes s’enrôlent  dans la secte terroriste non par conviction mais « parce que Boko Haram paie bien ! »

Avec Cœur de Sahel Djaïli Amadou Amal poursuit sa dénonciation de la condition féminine au Nord Cameroun, son pays natal. Hormis le personnage de Boukar, elle brosse un portrait peu flatteur des hommes, riches, autoritaires, violeurs. Pourtant, dans cette société figée de jeunes villageoises courageuses et déterminées, comme Faydé mais aussi Sfarata parviennent à s’extirper de leur condition sociale et à se construire un avenir : ce sont les nouvelles « impatientes » de cette autrice à l’écriture sensible et puissante.

 

• Djaïli Amadou Amal : Cœur du Sahel. Éditions Emmanuelle Collas, avril 2022, 351 pages.

 

Chroniqué par Kate

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #LITTERATURE AFRICAINE, #CAMEROUN
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