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• La grande diversité des populations, des langues, des arts du continent noir interdit toute généralisation. Toutefois, la représentation de la femme y semble un thème récurrent dans la sculpture des différentes sociétés. Ceci tend à prouver que, même si dans le conservatisme coutumier des vieux chefs les femmes restaient des inférieures naturelles, plus ou moins assimilables à des esclaves, on leur reconnaissait par ailleurs des fonctions non négligeables. On constate que l'on ne possède guère d'objets sculptés d'ethnies d'Afrique orientale, constituées surtout d'éleveurs nomades ; à l'inverse des civilisations d'Afrique de l'Ouest sédentaires, organisées dès le Xè siècle en royaumes structurés vivant en cités. Outre la terre cuite et le bois, certaines de ces ethnies maîtrisaient le fer et le bronze avant l'ère chrétienne. Au Nigeria par exemple, en Côte d'Ivoire, au Cameroun ou au Gabon, des artistes ont sculpté des masques, des têtes, des statuettes féminines. Leur rapprochement fait apparaître l'ambivalence de la femme, qui justifie peut-être l'ambiguïté de sa perception par les hommes.

• La coutume africaine impose à la fillette, comme au garçonnet, des rites d'initiation à l'âge adulte. Ce masque Ejagham du Nigeria fait de bois recouvert de peau animale, incarne l'image idéale de la jeune fille. Porté au cours de la période initiatique et pendant la réclusion avant le mariage, ses extraordinaires tresses en volutes devaient attirer le regard des hommes. Ce masque montre la jeune fille comme précieuse : de fait elle l'est, en raison de la dot que doit constituer tout prétendant pour l'obtenir ; en outre elle représentera pour lui une source de richesse d'autant plus considérable qu'elle lui donnera plus d'enfants.

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• La jeune fille apprend très tôt qu'elle détient le pouvoir de transmettre la vie. Les artistes africains représentaient la femme à l'enfant, mais rarement l'accouchement. C'est dire l'intérêt de cette statuette camerounaise du XIXè siècle. Elle aurait été réalisée par un sculpteur membre de la plus importante société secrète Bamiléké ; la « Ku'ngang ». C'est un «mu-po», un objet rituel à cheveux humains ; il figure une «magne», une mère de jumeaux qui met au monde le premier. Le gémellité étant chargée de symbole en Afrique, cette statuette participait au rituel organisé pour les femmes stériles, ou ayant accouché d'un enfant mort-né, ou ayant avorté. Celles-ci mâchaient et crachaient sur elle du kaolin, dont la trace blanche est encore visible entre ses seins. Comme le kaolin symbolise la mort, elles l'expulsaient de leurs entrailles pour que revienne la vie.

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• Les sculpteurs africains, depuis des millénaires, donnent une portée symbolique à la représentation de la fonction nourricière maternelle. Le créateur Senufo de cette statue ivoirienne  a sculpté dans la même ligne harmonieuse les seins et les bouches : cette mère au regard méditatif transmet certes le lait de la vie ; mais aussi les valeurs du lignage où vont s'enraciner ses nourrissons. La fonction féminine est beaucoup plus immatérielle que la seule domesticité.

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• Dans le cas particulier des Edos du Nigeria, société masculine et guerrière, les bronziers représentent principalement les mères des dieux-rois : car donner la vie à un garçon leur confère le statut et le pouvoir décisionnel d'un responsable politique masculin.

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De manière plus générale, la coutume africaine tient la femme pour dépositaire des valeurs morales et sociales ; plus encore, son pouvoir de donner la vie, qui la relie à l'énergie vitale cosmique, la constitue médiatrice entre les vivants et les morts, entre les hommes et les dieux. Son ambivalence se précise : elle est un passeur.

• Ainsi, les figurations féminines accompagnent les grands moments de l'existence, tels l'initiation des adolescents et les rites funéraires. Le sculpteur du masque Punu en bois polychrome d'origine gabonaise a associé le figuratif au symbolique : à travers les scarifications (signes identitaires de village ou de clan), le nez droit, les lèvres fines, la coiffure haute et complexe l'artiste désigne les critères de perfection féminine ; et la beauté physique reflète la beauté morale : droiture, douceur, générosité. Mais ce masque a valeur de symbole : l'emploi du kaolin (le blanc de la mort) prouve que cette jeune femme revient de l'au-delà. De plus le porteur de ce masque était perché sur des échasses : les yeux «regardaient» de loin et de haut les vivants : la femme n'appartient pas seulement à leur monde.

Fig.5-Puno-Gabon.jpg


• L'ambivalence de la figure féminine se confirme à travers son pouvoir sur la maladie et la mort. La belle statuette Ebrié sculptée au XIXè siècle en Côte-d'Ivoire  était encore utilisée en 1998 dans le Sud-Est du pays par les guérisseurs. Le collier de laiton et les perles de verre marquent l'importance de l'objet ; sa forme massive est assez conventionnelle (tout comme des bouteilles à herbes et onguents des Edo en forme de corps féminin très ronde) : car la femme est lourde de ses savoirs tirés de la nature (les planètes – le magnétisme – les règnes : minéral, végétal et animal); elle détient les pouvoirs occultes du bon génie qui peut guérir, comme de la magicienne qui sait faire mourir.

Fig.6---Ebri--.jpg


• Ces quelques créations artistiques traditionnelles montrent qu'à défaut d'un statut social reconnu, la femme africaine remplissait des fonctions essentielles. Certes la condition féminine a évolué sur le continent noir ; beaucoup de femmes sont en train de changer leur société, surtout en milieu urbain. Certes la tradition n'est plus qu'un mythique souvenir. Pourtant l'homme y maltraite encore la femme. Contempler ces sculptures pourrait modifier le regard.

 


Sources :
Catalogue «Masques» du Musée Dapper, Paris
Catalogue du Musée Barbier-Mueller, Genève
Hélène Joubert, «L'art africain»





 

Tag(s) : #BEAUX ARTS, #AFRIQUE, #SCULPTURE
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