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William Blume est parti à l'étranger pour réaliser des reportages destinés à son journal. Sans nouvelles de lui, la direction envoie son collègue Samuel Farr sans plus de résultat. N'y tenant plus, négligeant les mises en garde de ses proches, Anna est allée à son tour rechercher son frère William dans ce pays lointain.

 

« La traversée a duré dix jours et j'étais la seule passagère ». C'est un curieux pays à l'écart de la vie du reste du monde qu'Anna Blume découvre ! Quasiment plus rien ne fonctionne comme si un effondrement systémique avait eu lieu. Le pays s'est replié sur lui-même, isolé, emmuré. Les habitants survivent plutôt mal que bien, démunis et plongés dans la misère, car la production s'est effondrée. On se croirait dans les plus mauvaises années de Cuba ou de Corée du Nord — mais en pire. La dystopie qu'Auster nous offre est une réussite précoce dans un genre qui a pris de l'ampleur ces dernières années, avec par exemple Oscar De Profundis de Catherine Mavrikakis ou Station Eleven d'Emily St. John Mandel.

 

Anna Blume n'en finit pas de découvrir ce pays de cauchemar qui est comme une illustration de l'immense essai de Jared Diamond : Effondrement. La société a éclaté formant un environnement hostile. Dans les rues, Anna doit éviter des groupes agressifs qui rançonnent, volent et violent. Tout le monde ne s'adapte pas à ces conditions sévères aggravées par les extrêmes de la météo ou les foucades de gouvernements successifs. Beaucoup développent des projets suicidaires. Anna cependant s'accroche à la vie pour retrouver son frère ou l'autre journaliste. Vivre semble impossible dans ce monde entraîné par l'entropie vers l'ultime décomposition. En attendant, on tente de tout recycler... D'où le titre original : In the Country of Last Things et la citation en exergue de Nathaniel Hawthorne : « j'ai visité cette région de la terre où se trouve la célèbre Cité de la Destruction ».

 

L'odyssée d'Anna passe toutefois par une série de rémissions. Isabelle lui évite quelque temps la condition de sans-abri — mais Ferdinand son mari devient un danger. Sam retrouvé dans les combles de la Bibliothèque nationale l'héberge — avant que celle-ci ne brûle. C'est enfin Victoria qui la soigne et l'embauche dans la résidence Woburn — mais les fonds viennent à manquer malgré les ressources que l'imaginatif Boris avait réussi à mobiliser. Et la fondation philanthropique du défunt Dr Woburn ne sera bientôt plus que ruines.

 

Il n'y apparemment pas moyen de sortir de cet enfer, de s'évader de cette prison. Néanmoins Anna, Boris, Sam et Victoria n'abandonnent pas tout espoir — c'est sans doute le message de l'auteur — et rêvent de concevoir un plan pour tenter de s'échapper. Auparavant, Anna a noirci tout un cahier pour mettre par écrit le récit de ses aventures ; elle s'adresse à un ami ou amant resté au pays. On ne sait si ce cahier — le roman que nous lisons — a été découvert suite à la réussite ou à l'échec de leur tentative d'évasion. Des indices semés dans les premières pages du livre (« a-t-elle écrit », « écrivait-elle », « poursuivait-elle » laissent imaginer que ce cahier est finalement tombé entre les mains d'un chercheur ou de son destinataire, en tout cas d'un lecteur. Paul Auster nous signifie aussi l'importance du témoignage écrit par ce roman brutal et troublant.

 

• Paul Auster : Le voyage d'Anna Blume. Traduit par Patrick Ferragut. Actes Sud, 1989 et Babel 1993, 266 pages.

 

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ETATS-UNIS
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