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Nick Tosches est connu pour sa biographie de Jerry Lee Lewis ("Hellfire", 1982), sa passion pour le jeu et son intérêt pour la mafia. "La main de Dante" (2003), "Le roi des Juifs" (2006) et "Moi et le Diable" (2015) sont ses derniers ouvrages traduits en français, mais il est devenu célèbre dès son premier roman noir paru en 1988 aux États-Unis,  traduit par Jean Esch et publié sous le titre  « La religion des ratés » (Cut Numbers).

L'un des protagonistes nous explique quelle est cette religion : c'est "la chance" que les joueurs invétérés croient avoir. L'histoire nous plonge dans l'univers des loteries clandestines. Le récit suit les aventures de Louie, un petit usurier qui survit par diverses combines et est amoureux de la belle et rétive Donna Lou. Ce Louie est le neveu d'un certain oncle John, alias Giovanni Brunellesches, qui doit le début de son ascension à Il Santo, le fameux mafioso qui reçut cinq balles dans la tête un jour de septembre 1930 alors qu'il était sagement assis dans sa cuisine. Giovanni à son tour est devenu un vieux mafieux et un amateur de gros cigares ;  il est installé à Newark mais il compte bien rentrer dans la Péninsule, après une dernière grosse arnaque. Or les loteries truquées c'est aussi le "bizness" de l'inquiétant Frank, alias Il Capraio, dont le repaire n'est autre que la salle aux rideaux tirés au fond du bar louche de Giacomo l'ex-taulard. L'oncle Giovanni et Il Capraio se connaissent depuis des lustres et se détestent depuis toujours. Il Capraio fait régler ses comptes par son habile porte-flingue, Joe Brusher, qui, lui, rêve de partir avec sa Buick direction la Floride. Entre les deux vieux caïds, la partie est serrée. La fin surprenante.

Le lecteur en apprendra peut-être sur le billet vert, son histoire et ses illustrations, mais il se perdra plus certainement dans les détails des arnaques sur le loto ; il trouvera à coup sûr intérêt à la description d'un milieu, arrosé, daté et pittoresque. Dans les bars croisent des figures grotesques comme Goo-Goo Mangiacavallo et naissent des conversations inoubliables :

Louie resta assis là à boire pendant environ deux heures. Il avait déjà ingurgité une forte quantité d'alcool et, requinqué par le repas qu'il venait d'avaler, il devint plus bavard. Ayant débuté par des commentaires sur la future saison de football, le barman et lui en vinrent —tout naturellement semble-t-il — à discuter pour savoir pourquoi chaque Kennedy qui succédait à un autre étaiet encore plus pourri que le précédent. Ce qui les amena —tout naturellement une fois encore— à évoquer la qualité du basilic que l'on trouvait par ici. De là, la discussion dériva vers la propagation des lesbiennes, la nécessité de revenir à la messe en latin, et ces deux constations malheureusement irréfutables : premièrement, l'archevêque et le maire de New York étaient pédés comme des phoques et, deuxièmement, les côtes de porc de chez Ottomanelli n'étaient plus ce qu'elles étaient. (Extrait, page 238)

La couleur locale est ici ambiguë, un pied aux States et l'autre au Mezzogiorno. D'une part, Nick Tosches utilise assez de vocabulaire italien pour donner aux mafiosi leur couleur vraie, comme on saupoudre de parmigiano une bonne assiette de pâtes pour en révéler la saveur. D'autre part, la proximité du quartier financier et la lecture du Wall Street Journal inspirent à Louie ses premières spéculations dignes du "capitalisme de casino": il achète des actions Nomura après avoir fait un fructueux aller-retour sur le platine alors en forte hausse. Sur le trottoir, devant son bistro, Giacomo aperçoit la silhouette des tours jumelles. Une époque révolue, je vous dis : la jeune cliente du bar adorait même Bruce Springsteen — c'est tout dire.

Nick Tosches - La religion des ratés -  Gallimard, 1996 - Réédition en Folio policier, mai 2000, n°163, 303 pages.


 

Tag(s) : #LITTERATURE ETATS-UNIS
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