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Psychiatre au CHU Avicenne de Bobigny, Taïeb Ferradji propose dans ce récit autobiographique une autre approche de l'expérience migratoire. Jeune médecin kabyle, il a fui l'Algérie tourmentée des années 90 pour parfaire sa formation en France. Mais son statut social ne lui a pas épargné le douloureux arrachement à son pays, ni le ressentiment à l'égard de la société française, si mal accueillante. Il partage ce traumatisme avec ses patients émigrés: en les soignant il soigne sa propre souffrance d'exilé et construit sa résilience.

L'auteur garde la mémoire du village de son enfance perdu dans la montagne kabyle où, malgré la pauvreté, lui-même et sa fratrie n'ont manqué ni d'affection ni d'éducation. L'école lui a ouvert très tôt un espace de liberté et suscité le désir de partir voir plus loin. Nourri du courage et de l'endurance maternels, il fut bon élève, même dans les années 80, au coeur de la Kabylie insurgée pour ses revendications démocratiques. Plus tard, étudiant en médecine, les fondamentalistes islamistes poignardèrent son professeur et son guide, le docteur Boucebci, humaniste démocrate et l'un des fondateurs de la psychiatrie en Algérie. Il aura initié T.Ferradji à la nécessaire relation entre la psychopathologie et la culture traditionnelle du soin. Emigré à Paris, contraint de tout reprendre car le milieu médical ne reconnaissait pas ses diplômes algériens ; discriminé à deux reprises pour "ses origines" par ses chefs de service hospitalier, l'auteur perdit rapidement ses illusions sur la France. Mais la découverte de la misère des émigrés — insoupçonnable quand ils reviennent au pays—, et les méthodes de travail particulières au CHU Avicenne lui donnèrent la force d'atteindre au succès.

La pratique de T.Ferradji montre, s'il en était besoin, que les troubles psychiques des migrants nécessitent un protocole de soins spécifique mené par des praticiens avertis. Tout émigré a l'obligation de réussite vis-à-vis des siens et doit revenir la leur montrer. Il ne peut avouer son échec, ni dans son pays, ni en France. La souffrance morale qu'il doit taire se transcrit alors en  symptômes psychosomatiques. Soigner un migrant, c'est d'abord lui permettre de nommer son mal être dans sa langue, avec ses croyances : c'est déjà l'apaiser. Le praticien amène ensuite peu à peu les patients à se prendre en charge, à clarifier leur objectif de migration, afin d'éviter à leurs enfants toute confusion identitaire.

T.Ferradji éclaire l'approche culturelle du soin: au CHU Avicenne, un groupe accueille l'émigré, l'entoure de bienveillance empathique et l'écoute dans son mode d'expression propre: car ils savent que la notion de "normalité" varie selon les contextes culturels. Loin d'eux la hâte de diagnostiquer et prescrire. L'altérité et l'humanisme de ce récit donneraient à réfléchir à bien des personnels hospitaliers et éducatifs de l'Hexagone.

Taïeb FERRADJI
"Ces exils que je soigne"
Editions de l'Atelier, 2009, 173 pages.


Tag(s) : #SCIENCES SOCIALES
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