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• En 1893 la Côte de l’ivoire devint une colonie française. Gauz raconte de manière originale cette colonisation en imaginant deux personnages que tout oppose quoi que...

   Au sortir de la guerre de 1870, Dabilly, fils de paysan creusois fuit son village ; à travers ses tribulations l’auteur revisite l'épopée coloniale. Un siècle plus tard un garçonnet métis afro-néerlandais, fils de « camarade Papa », communiste idéaliste, quitte Amsterdam pour rejoindre sa grand-mère en Côte d’Ivoire, habile manière de camper le monde post-colonial. Le récit passionne autant par les aventures des deux personnages que par les modes d’expression propres à chacun : au langage facétieux et inventif de l’enfant s’opposent les propos retenus et précis de Dabilly. Quel que soit le registre, on apprécie la plume décapante et l'humour de l’auteur tout au long de cette épopée historique et ethnologique.

 

À la fin du 19ème siècle quelques comptoirs français et anglais occupaient le littoral de la Côte d’Ivoire mais l’intérieur restait un territoire inexploré, riche de légendes et de coutumes. Verdier, négociant rochelais, « ambitionnait d’en faire une concession privée » précise la notule introductive, et délégua son commis, Treich, en mission d’exploration afin de signer des traités avec les chefs locaux. Gauz réécrit l’histoire en lançant ce dernier à la recherche de son soi-disant frère, le militaire Bilger qui deviendra effectivement, le 10 mars 1893, le premier gouverneur de la Côte d’Ivoire. 

 

Après le décès de ses parents, le jeune Dabilly s’engage comme manutentionnaire à la manufacture d’armes de Châtellerault puis s’embarque à La Rochelle à bord d’un navire convoyant des caisses de fusils en Côte d’Ivoire : l’Afrique l'appelle, il y rencontrera son destin. Depuis Grand Bassam, la capitale, il part avec Treich établir un comptoir à Assinie. On découvre là les rivalités des Blancs de la concession, négrophiles et négrophobes, leur « patriotisme exacerbé » autant que leur haine de l’Anglais : « l’ennemi n’est pas le nègre mais l’anglais » note Dabilly dans ses carnets, essentiels puisque « le rapport écrit est l’exercice obligatoire du colonial ». Il s’étonne des usages des Noirs qui ignorent la pudeur pour se laver ou déféquer. Ceux-ci se montrent accueillants et curieux — « lors de nos explorations nous sommes nous-mêmes objet d’exploration ». Il remarque qu’entre l’hinterland et la côte le commerce des produits français — parasols, chapeaux, sel, fusils — est plus efficace que la présence des colons et note « nos articles commerciaux (...) assurent eux-mêmes la conquête coloniale ». Néanmoins seule a valeur pour les Blancs la croix des chefs locaux sur le parchemin car : « Traité + présence effective = colonie ». Cette colonisation semble s’installer sans violence... Bien sûr Dabilly souffre des fièvres tropicales et, roman oblige, n’en réchappe que grâce à Adjo, sa « femme destin », dont il est tombé amoureux. Elle mourra en couches et le jeune homme prendra soin de leur fille Alloua Treissy, avant de mourir oublié en terre africaine.

 

Cent ans après, en 1970, un garçonnet fils de communiste vit, bien sûr, dans le quartier rouge d’Amsterdam ! Sa mère étant partie soutenir Hodja en Albanie, son père, convaincu que le Grand Soir approche, expédie son fils en Côte d’Ivoire. Totalement intoxiqué par le discours paternel qui lui « enchaîne les oreilles », l’enfant voit le monde à travers un prisme déformant. Gare du Nord, « je me pleure de maman et papa» gémit-il devant « ces tristes têtes » de « Commune-de-Paris » avant de rejoindre « l’aéroport du bourgeois rempli d’avions à réactionnaires ». Mais, parvenu à Grand Bassam, son oncle et sa tante ont souci de le désintoxiquer. Ce sera facile car l’enfant découvre un tout autre monde et constate que « pour la première fois personne ne (le) regarde, même pas par curiosité ». Le petit métis rouquin bien accepté abandonne ses réflexes bagarreurs. En outre il découvre l’automobile — la Fiat familiale — et la télévision en classe : « Thomson », au-dessus du tableau, lui en apprend davantage que papa ! Sa copine Yafoun l’aide pour sa « langue de Français » quand « elle attrape une fourche » !!! C’est dans la maison sur la colline que se cache son bonheur, auprès de sa grand-mère Alloua Treissy, la fille de Dabilly bien sûr...

 

Gauz, en réécrivant l’histoire, transforme la Côte d’Ivoire en terre du bonheur pour les deux personnages. Mal dans sa vie, Dabilly a voulu y partir et y a connu son accomplissement. Le jeune garçon, contraint d’y aller vivre, y a trouvé la place que l’Europe lui refusait. On peut lire comme un beau conte cette réécriture idéalisée de l’histoire ivoirienne nimbée d’un humanisme émouvant.

 

• GAUZ. Camarade Papa. Le Nouvel Attila, août 2018, 251 pages.

 

Chroniqué par Kate

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #AFRIQUE
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