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Depuis le IVe siècle, la foi a amené des hommes à vivre, reclus ou presque, dans de rudes monastères pour se livrer à la prière en silence. C'est cette vie monastique que découvrit Patrick Leigh Fermor en partageant la vie des moines de quelques abbayes françaises dans les années cinquante du siècle dernier.

Il séjourna d'abord à Saint-Wandrille en Normandie. S'il en raconte l'histoire au fil des siècles, il décrit surtout l'austère vie quotidienne des moines. Il avoue qu'il lui fut pénible de s'adapter pour quelques semaines dans le silence et le recueillement. Pourtant, le retour au monde profane lui fut aussi un choc. « L'abbaye avait d'abord été un cimetière ; le monde extérieur sembla ensuite, par contraste, un enfer de bruit et de vulgarité entièrement peuplé de goujats, de catins et de forbans ».

L'expérience de Saint-Wandrille ne lui suffit pas. Il voulut aussi connaître Solesmes, sa « rivale » mancelle, et jusqu'à la vie des moines de la Trappe pour découvrir des règles de plus en plus dures, imposées par Rancé, inhumaines aux yeux de certain : « ascétisme féroce », « incarcération », « humiliation », « expiation infinie ». Or ces hommes étaient en paix avec le monde et avec eux-mêmes. « Leurs paupières restaient baissées » et au réfectoire, pas la moindre conversation avec eux n'était possible. « Ces hommes vivaient comme si chaque jour était le dernier. » Mais lui, l'écrivain britannique, il y trouva le silence propre à la méditation et à l'écriture.

Patrick Leigh Fermor ne s'est pas limité au cadre de la chrétienté occidentale et latine ; il a voulu retrouver les racines orientales du monachisme en visitant les sites de Cappadoce. Là, au temps de l'empire byzantin, des moines suivirent la règle de saint Basile, creusèrent leurs églises dans la roche et les décorèrent parfois richement, en parfaite opposition avec la dépouillement cistercien. Sans doute cela lui rappela qu'il avait fêté ses 21 ans au Mont Athos, et que la Seconde guerre mondiale l'avait amené à fréquenter des moines orthodoxes, bien différents de ceux de Solesmes ou de la Trappe.

« Je me rappelais en souriant […] mes hôtes et protecteurs du temps de guerre en Crète, barbus, aux cheveux longs, coiffés de leurs tubes noirs, qui versaient du raki, cassaient des noisettes, chantaient des chants montagnards, démontaient et remontaient les pistolets, m'interrogeaient à l'infini sur Churchill et ronflaient sous les oliviers… »

L'opposition entre l'Orient et l'Occident se lit dans ces pages où on ne l'attendait pas, mais aux ruines enfouies de Cappadoce répondent les ruines aux charmes romantiques des abbayes d'Angleterre et d'Écosse pour lesquelles l'auteur nous livre son penchant dans les pages ultimes de ce mince volume dont je recommande la lecture.

Patrick Leigh Fermor. Un temps pour se taire. Traduit par Guillaume Villeneuve. Editions Nevicata, Bruxelles, 2015, 97 pages.

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ANGLAISE, #HISTOIRE GENERALE
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