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Après l'inquiétant cimetière des livres oubliés inventé à Barcelone par Carlos Ruiz Zafón pour L'Ombre du Vent, voici qu'un antre breton de livres refusés surgit dans notre actualité déjà sinistre. Inspiré par un personnage de Richard Brautigan, et l'avouant en incipit, l'auteur de Je vais mieux nous invente un conservatoire de livres échoués près de la Baie des Trépassés. Loin du quartier des éditeurs, c'est à Crozon, Finistère, que le lecteur rencontrera un défenseur du livre en la personne de Jean-Pierre Gourvec ; mais brièvement car ce dernier meurt page 22. Allons, ne soyez pas si tristes ! Je vous annonce une lecture jubilatoire.
À la faveur des vacances, Delphine Despero, jeune éditrice à succès chez Grasset, — on lui doit paraît-il le grand succès de Laurent Binet — emmène son ami Frédéric, déjà auteur de La Baignoire, un premier roman qui se vend mal, chez ses parents en Bretagne. L'air de la mer devrait lui permettre de trouver l'inspiration pour son second livre, provisoirement intitulé Le Lit. C'est ainsi que Delphine et Frédéric découvrent à la bibliothèque locale ce rayon des livres refusés où les auteurs recalés sont conviés à déposer leurs manuscrits. Comme par magie Delphine y trouve une perle : Les Dernières heures d'une histoire d'amour, œuvre d'un certain Henri Pick. Renseignements pris par Delphine et Frédéric, l'auteur en serait un pizzaiolo récemment décédé... or, ni sa veuve ni sa fille ne l'ont jamais vu écrire, même pas le menu de son restaurant. Gourvec et Pick dans la tombe, le mystère pourrait rester entier.
A Paris, la maison d'édition est subjuguée par la trouvaille de son éditrice junior et arrive le succès, comme un tsunami, 100 000, bientôt 300 000 exemplaires et déjà paraît la traduction allemande. Toute la presse en parle. Pour un enregistrement de La Grande Librairie François Busnel se déplace à Crozon chez Madeleine, la veuve d'Henri Pick. Évidemment ce livre, par la soudaine notoriété qu'il leur procure, ne tarde pas à changer la vie de Madeleine, de sa fille Joséphine, de Mathilde son employée à la boutique de lingerie, de Magali qui tient désormais la bibliothèque, sans oublier Delphine et Frédéric évidemment...
Qu'un modeste pizzaiolo ait écrit ce beau roman où un couple se défait à mesure que Pouchkine finit ses jours est-ce bien crédible ? Bien décidé à prouver qu'Henri Pick n'a rien écrit de sa vie et par conséquent qu'il n'a été refusé par aucun éditeur, Jean-Michel Rouche, critique littéraire viré du Figaro, part enquêter : malgré ses gaffes à répétition on s'attend forcément à ce qu'il trouve quelque chose. Mais de rebondissement en rebondissement, Daniel Foenkinos nous a concocté une chute que sans doute peu de lecteurs auront devinée, malgré quelques indices subtils, comme celui du titre choisi par Frédéric pour son futur roman.
Cette aimable comédie aurait pu diablement égratigner le monde de l'édition. Avec sagesse David Foenkinos s'en est tenu à faire sourire, par exemple quand il imagine un éditeur concurrent s'efforçant pour réussir un coup de sortir de l'enfer des refusés un manuscrit rejeté trente-deux fois. Il joue aussi la carte des sentiments — en navigant entre ironie et mélo — dans les vies chamboulées de plusieurs personnages comme s'ils devaient incarner à leur tour Les Dernières heures d'une histoire d'amour d'Henri Pick ou de celui qui a emprunté ce nom. « Mathilde dormit très peu. Elle pensa au livre d'Henri Pick. Elle y vit une incroyable résonance avec sa propre histoire. Avec qui vivait-elle ses dernières heures ? » Entre tous, le personnage de Rouche l'ancien journaliste à la recherche d'un scoop mérite d'être retenu. Porté sur la boisson et accumulant les maladresses au volant comme avec les femmes, ne déclare-t-il pas à Mathilde qui l'invite chez elle : « Je pourrais être un psychopathe. Après tout, j'ai été critique littéraire pendant quelques années. » Rouche encore, en parisien qui doit trouver que gagner le bout de la Bretagne en TGV c'est démesurément long, le voilà qui prend 2666 de Bolaño (un pavé aux mille pages) comme lecture de voyage !
Foenkinos nous amuse enfin avec ses dialogues qui n'hésitent pas à faire entendre le silence de personnages taiseux ou pris au dépourvu, ce qui donne à plusieurs reprises des :  «  —... » En somme voici un livre très agréable à lire, fort habilement construit — et la chute venue le montre encore plus habilement construit qu'on ne se l'imaginait en le lisant !
• David Foenkinos. Le mystère Henri Pick. Gallimard, 2016, 285 pages.
Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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