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Gaines-petite-porte.pngAprès dix ans d'exil dans le nord, Copper, métis bâtard, revient sur la plantation récupérer sa part du bien paternel. Sommé par son oncle Frank de lui rendre visite, il se refuse à emprunter la "petite porte" traditionnellement réservée aux noirs dans la Louisiane ségrégationniste. L'oncle finit par aller lui-même le rencontrer. Cette intrigue ténue, essentiellement psychologique, permet à E.Gaines d'exposer sous forme romanesque les tensions entre colons, domestiques noirs et métis; la confrontation finale, à la fois réquisitoire et plaidoyer, en constitue l'apogée. Le souci de réalisme ne concerne pas tant le lieu ou l'époque que le mode d'expression du narrateur Félix, domestique septuagénaire; il prend le lecteur à témoins dans son propre langage oral : on note l'absence fréquente de la double négation, les tournures incorrectes —"il se battait avec les petits blancs même pareil qu'avec les négrillons"; "ils ont pas peur de vous la façon qu'ils avaient peur des maîtres"—. Le lecteur plonge "in medias res".

 

Lui aussi septuagénaire, cardiaque et proche de sa fin, Frank Laurent dirige toujours la plantation : il reste dominateur de ses "nègres", attaché aux coutumes , aux "règles" héritées de la ségrégation et qu'il se refuse à modifier —" ce ne sera pas moi qui les changerai". Il traite toujours les noirs comme des animaux, contraints d'obéir depuis quatre cents ans par peur de "la chaîne et du bâton"… Aux yeux de son neveu Copper, il ne se distingue pas de tous ces blancs "violeurs, pillards, meurtriers" qui ont la loi pour eux et se donnent bonne conscience en faisant la charité aux vieux domestiques, tels Félix et Amalia. Tous deux manifestent plus d'humanité et de lucidité que leur maître; ils incarnent sa conscience et Frank accepte d'autant plus mal leurs critiques qu'il ne peut se passer d'eux au quotidien. L'esclave supplante moralement le maître, mais Félix tente vainement de le convaincre que les temps ont changé, que les noirs sont aussi des êtres humains. C'est Copper qui prend le relais: "votre époque est révolue mon oncle". Métis né des ébats du frères de Frank, Walter, avec une esclave noire, Gaines lui prête la même violence bestiale que son père à l'égard des noirs. Même si Frank le considère comme un "nègre", Copper revient bien en colon fort des "droits que lui donne sa naissance". Il n'envisage pas de succéder à son oncle mais de partager sa part de bien avec tous les opprimés, quelle que soit leur couleur, victimes des abus du pouvoir blanc: ils constituent son "armée" dont il s'est autoproclamé le "général": leur porte-parole et leur bras vengeur.

 

"Bloodline", en version originale, c'est un vrai roman du Sud d'antan où le sang dictait la loi. E.Gaines confère sa dignité littéraire au monde des noirs de Louisiane, son propre monde dans les années 1940. Mais c'est aussi un roman nécessaire de nos jours, une dénonciation des conflits raciaux toujours à réitérer.

 

• Ernest J. GAINES  -  Par la petite porte. Traduit de l'américain par Michelle Herpe-Voslinsky. Liana Levi, 1996 et collection piccolo, 2010, 106 pages. Edition originale en 1976.

Chroniqué par Kate

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ETATS-UNIS
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