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Dans l'œuvre romanesque d'Albert Camus, si L'Etranger et La Peste viennent sans discussion en tête des livres les plus lus, en revanche La Chute ne semble pas avoir connu un aussi grand succès. Pourtant, cette œuvre ne manque pas d'intérêt pour découvrir des idées essentielles de Camus : la critique d'une certaine interprétation de la liberté et l'importance de la responsabilité et de la culpabilité.

 

Un voyageur qui restera muet rencontre dans un bar d'Amsterdam un soi-disant avocat parisien ayant renoncé à son ancien barreau. Il s'appelle Jean-Baptiste Clamence : nom et prénom ne manquant pas d'à propos. Six jours durant, le voyageur — également avocat — écoute avec patience la confession de cet homme : au bar que fréquentent des marins, le Mexico City, à la faveur d'un verre de genièvre puis d'une balade nocturne vers le port ou le quartier juif, voire chez l'ex-avocat. Clamence commence par… clamer sa courtoisie, sa réussite professionnelle et son succès personnel auprès des femmes, vantant la liberté totale qu'il a expérimentée pour son seul plaisir de véritable Dom Juan. Mais il y a un hic : pourquoi répugne-t-il tant et même ne veut-il plus avoir à traverser de pont au cours de ses escapades nocturnes, une expérience quasi-impossible à Amsterdam ?

 

Après maints allers et retours dans ses souvenirs, il finit par avouer une scène établissant sa lâcheté : un soir, traversant un pont, il n'est pas intervenu quand une femme s'est jetée dans le canal : il n'a pas appelé les secours, il n'a pas non plus plongé pour apporter son aide à la désespérée, il s'est honteusement enfui. Depuis, la conscience de sa faute s'est insinuée dans son esprit. Sa vie s'en est trouvée changer dramatiquement : d'où le titre La Chute. Même si « chacun veut être innocent », la responsabilité individuelle de l'homme est affirmée et étendue à l'humanité entière, à l'instar du péché originel biblique, bien que l'ex-avocat devenu « juge-pénitent », et se livrant complaisamment à l'étalage de ses faiblesses et de ses « débauches », affirme ne pas croire en quelque dieu que ce soit, ni prophète d'une idéologie contemporaine. Chacun doit vivre dans le « malconfort » de sa conscience, nouvelle servitude, sans espoir de rachat.

 

Mais qui est disposé à écouter celui qui tel Jean Baptiste va prêchant dans le désert ? Est-il sûr que le confesseur inconnu et muet ait été convaincu de la sincérité du pécheur ? « Ne riez pas ! Oui, vous êtes un client difficile, je l'ai vu du premier coup. Mais vous y viendrez, c'est inévitable » insiste Clamence, car, poursuit-il « les intelligents, il faut y mettre le temps. »

 

La forme du roman n'est pas sans attester l'influence du Nouveau Roman avec cette façon inattendue de traduire la conversation dont un seul interlocuteur nous est accessible. Unique locuteur, Clamence, ne reste pas totalement enfermé dans son monologue ; de temps à autre il réagit à un signe de l'autre qui pour nous reste le muet, ou lui répond souvent d'une formule courtoise comme : « Vraiment, mon cher compatriote, je vous suis reconnaissant de votre curiosité » ou parfois plus directe, comme : « vous vous trompez, cher, le bateau file à toute allure ».

 

Bien que la péroraison philosophique de Clamence puisse se situer en n'importe quel lieu, certaines particularités géographiques de la Hollande lui apportent une force supplémentaire : par exemple, la notion de chute est accentuée par la situation d'une partie du pays en dessous du niveau de la mer, avec le Zuyderzee comme « un bénitier immense ».

 

Mais on aurait pu, de ce livre riche de métaphores et d'exemples symboliques, tirer bien d'autres réflexions philosophiques. Certains y ont lu une critique de la pensée de Sartre avec qui Camus ne s'entendait pas.

 

Albert Camus. La Chute. Gallimard, 1956. Environ 160 pages selon les éditions.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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