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                                                          Autour de B. Cyrulnik et P. Lemoine, une dizaine de psychiatres et autres spécialistes rappellent l’histoire de la psychiatrie et s’interrogent sur les conditions nécessaires à sa reconnaissance comme une science fiable. La folie, — schizophrénie, bipolarité, entre autres dans les termes d’aujourd’hui —, est une maladie comme une autre, dont le nombre de victimes reste stable en tous pays, sauf en Chine où la notion de maladie mentale n’existe pas ; les troubles y résultent d’une rupture d’harmonie entre corps et coeur, entre yin et yang. Depuis l’Antiquité on a toujours soigné et protégé les fous pacifiques et enfermé les fous dangereux pour la société : le malade mental c’est celui qui n’est pas dans les normes socioculturelles. Les auteurs donnent maints exemples des traitements violents imposés aux fous : électrochocs, faradisation (électrothérapie), médicaments psychotropes qui réduisent le patient à l’état végétatif. Parce que sa différence inquiète et apeure on l’a souvent érigé en bouc émissaire, autorisant ainsi les brutalités et tortures les plus sadiques. À partir du XIX° siècle, la théorie de la dégénérescence, bien que dépourvue de fondement scientifique, a justifié bien des violences ; l‘alcoolisme et l’hérédité auraient généré des tares et « Plus une race se reproduit, plus elle dégénère » soutenait Zola.

Dès lors l’eugénisme devint une pratique légitime. Le totalitarisme soviétique et le nazisme instrumentalisèrent la psychiatrie ; le colonialisme, dans sa mission civilisatrice, assimila les indigènes à des malades mentaux... Pendant la guerre de 1914 on considéra même les soldats polytraumatisés comme des simulateurs : leurs troubles hystériques n’inspiraient que mépris. Internés, humiliés, on opposa ces hommes diminués aux morts glorifiés. Sans empathie aucune pour les malades mentaux, on les a souvent éliminés en toute bonne conscience.

Au XX° siècle la psychiatrie peine encore à inspirer confiance car elle « manque des fondements scientifiques solides qui existent dans les autres grandes spécialités médicales… c’est sur la nature même de la maladie que l’on s’oppose ». En outre le psychiatre ne se distancie pas de son patient, ne l’écoute ni ne l’observe pour lui-même mais selon son propre contexte culturel, sa propre conception de la folie et sa formation universitaire. Le DSM, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, édicté par l’APA, l’association américaine de psychiatrie, demeure la doxa aujourd’hui encore pour de nombreux spécialistes, même s’il se révèle insuffisant et ne fait plus consensus. Car il donne assurance de vérité. Or, « rien n’est plus dangereux que la certitude d’avoir raison ».

Faute de ne se référer qu’à cette « bible », le psychiatre reste dans son pré carré. Son refus de voir hors de sa spécialité fait de lui le premier fou ! La psychiatrie ne gagnera en crédibilité qu’en modifiant la formation des soignants et la relation aux patients. Car la maladie mentale est d’origine « bio-psycho-sociale ». Pourtant le DSM ne tient pas compte des progrès des neurosciences et de la génétique, ni de l’histoire personnelle du patient, ni des facteurs environnementaux, ni de « la maltraitance infantile, le bas niveau économique, l’adoption, l’immigration, la vie en condition urbaine ». Les spécialistes des maladies mentales ont beaucoup à gagner à se rapprocher de la neurologie, à se former à l’ethnopsychiatrie pour ne pas apparaître comme « des professeurs foldingues aussi fous que leurs malades ».

Les auteurs sont convaincus de la reconnaissance désormais possible de la psychiatrie comme une science et restent persuadés des risques qu’ encourrait une société sans psychiatres, mais ces assertions peinent à convaincre !

Boris Cyrulnik et Patrick Lemoine. La Folle Histoire des idées folles en psychiatrie. Odile Jacob, 2016, 275 pages.

Lu et chroniqué par Kate

 

Tag(s) : #SCIENCES SOCIALES, #ESSAIS
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