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Alors que la traite atlantique est bien connue, dans tous ses aspects, y compris statistique, la traite transsaharienne et orientale est reléguée pour beaucoup de nos contemporains dans le flou et les marges de l'Histoire.


Or, si la traite au profit des Européens s'est échelonnée du XVe au XIXe siècle, celle au profit des Arabes et Musulmans s'est étirée sur une période plus longue, entre le VIIe et le XXe siècle et a brisé la vie d'un nombre de Noirs encore plus important.
Tel est le sujet du passionnant travail historique de T. N'Diaye intitulé « Le génocide voilé ».

 

 

Les Noirs, la traite et l'Islam
 

Le génocide voilé. Pourquoi un tel titre ? Pour l'auteur, spécialiste d'histoire africaine, anthropologue et économiste, seule la traite arabo-musulmane justifie pleinement l'appellation de « génocide » en raison de la pratique étendue de la castration et de l'émasculation des jeunes esclaves destinés notamment aux harems, jusqu'à la fin de l'empire ottoman en 1918. Et comme lettrés et intellectuels arabo-musulmans « ne se décident toujours pas à regarder leur histoire en face et à en débattre » ce passé négrier reste « voilé ». L'auteur en appelle à rejeter ce « syndrome de Stockholm à l'africaine » qui par une fausse solidarité religieuse — puisque l'Islam est important en Afrique noire — amène victimes et bourreaux à choisir le silence : un silence coupable. Cet ouvrage ne doit pas être lu comme une attaque contre l'Islam et contre le Coran ; s'il mentionne les versets du Coran qui autorisent les relations sexuelles des croyants avec des captives non-musulmanes, il s'élève contre toute interprétation qui en ferait la légitimation hypocrite de l'esclavage passé, présent et à venir, la guerre sainte n'étant faite que pour capturer ces esclaves. D'autre part, l'auteur analyse comment la culture et les traditions arabes placent le travail de l'esclave noir au centre du système économique et social, au risque, pour les Arabes, de paraître voués à d'autres activités comme la sexualité, la prière, la guerre, et la chasse au faucon.

Tandis que la route transsaharienne se dirigeait au Nord vers un grand Maghreb, plus à l'est, elle se dirigeait vers l'Égypte, rejointe par la voie fluviale, descendant le Nil. À l'Est du continent, les routes de l'esclavage débouchaient sur les ports de la mer Rouge et ceux de l'océan Indien, échelonnés de la Somalie au Mozambique. Là, l'île de Zanzibar – longtemps liée au sultanat d'Oman – fut le grand marché, expédiant ses Noirs vers l'Arabie, la Turquie, la Perse, et l'Inde. Son activité atteignit son apogée au XIXe siècle, au moment où les Européens qui venaient de condamner la traite et l'esclavage, étendirent leur projet anti-esclavagiste à l'Afrique en achevant de la coloniser.

 

Des témoignages percutants


À mes yeux, cette enquête historique de Tidiane N'Diaye vaut davantage encore pour deux raisons.
D'abord, les témoignages d'auteurs anciens et modernes, arabes et européens, apportent un éclairage vivant sur ces sujets que l'on a souvent éludés. Ils éclairent d'un jour nouveau l'invraisemblable racisme que les uns et les autres ont pu, non pas trouver en leur for intérieur, mais manifester par écrit. Un exemple, Ibn Jobayr se rendant à La Mecque, dut traverser le pays des Bujas :
« Les hommes et les femmes circulent presque nus, avec un chiffon pour dissimuler leur sexe, encore que la plupart ne cachent rien ! Bref, dit-il, ce sont des gens sans moralité et ce n'est donc pas un péché que de leur souhaiter la malédiction divine. Et de les pourchasser jusque dans leurs villages, pour en ramener des esclaves.»
Des siècles plus tard, le voyageur anglais J.F. Kean philosophait ainsi sur le sort des esclaves rencontrés en Arabie :
« Le Nègre se trouve là à sa juste place, celle d'un travailleur utile et facile à diriger. Les Nègres sont portiers, porteurs d'eau et accomplissent l'essentiel du travail à La Mecque. Heureux et bien portants, bien nourris, bien habillés, ce sont des esclaves fiers de leurs maîtres… Et le Nègre lui- même peut, par ce moyen, être amené de l'état sauvage d'une existence au jour le jour, à l'état de membre rentable de la société, d'ouvrier solide et docile, situation pour laquelle la Nature semble l'avoir fait.»

Ensuite, les témoignages sur les violences exercées sur les Noirs, lors des razzias, et lors de leur acheminement vers les marchés d'Orient. À cet égard, il faut lire tout le chapitre qui traite du "génocide" – (Ch.VIII. "Extinction ethnique programmée…") – et particulièrement des mutilations sexuelles infligées aux Noirs destinés à servir dans les harems. L'un de ces témoignages est autobiographique : c'est celui d'Hayrettin Effendi, dernier eunuque du dernier sultan de Constantinople. Les eunuques, certes, ne sont pas spécifiques du monde musulman (cf. empire chinois), et la mode de l'orientalisme dans la littérature et la peinture du XIXe siècle a pu accoutumer les Européens à ce "type social", mais le récit de la castration et de l'émasculation reste un choc. Des moines coptes de la région d'Assiout étaient spécialistes de l'opération. La mortalité était effarante... Quant aux femmes exploitées sexuellement par leurs maîtres, si leur espérance de vie était plus grande, elle devaient se résoudre à l'avortement ou à l'infanticide. Ainsi la descendance de ces Africains était-elle réduite au minimum.

 

• Tidiane  N'DIAYE. Le génocide voilé. Gallimard, "Continents noirs", 2008, 253 pages.

Du même auteur sur les Falachas - Sur l'auteur -
 

 

 

Tag(s) : #TRAITE, #ESCLAVAGE & COLONISATION
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