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Titre accrocheur ? Tant mieux. Après des études à l’étranger, Azar Nafisi revint en Iran au moment de la révolution de 1979. Elle y resta dix-huit ans. Il ne faut pas rater cette tranche d’autobiographie d’une femme professeur d’Université à Téhéran. Traduite dans une trentaine de langues, ce captivant témoignage publié en Amérique en 2003 est un best-seller qui a plusieurs raisons de vous séduire.

 

 « Lire Lolita à Téhéran » n’est-ce pas d’abord une provocation ? Dans l’Iran des ayatollahs qui refusent que dépasse du tchador tant une chaussette rose que du vernis à ongle, où l’on fouille les étudiantes à l’entrée de l’Université, où l’on a fermé les cinémas, et les bonnes librairies, bien sûr que c’est pour le moins de l’audace. Fille de l’une des premières femmes députées élue en 1963 sous une monarchie qui en matière de droit des femmes est aujourd’hui regrettée, Azar Nafisi nous instruit de littérature anglo-saxonne et dialogue avec ses étudiantes, tout autant qu’elle nous instruit de la tyrannie ayatollesque.  L’ouvrage est organisé en quatre parties d’après les principales œuvres étudiées : « Gatsby le magnifique » de Francis Scott Fitzgerald, « Daisy Miller » d’Henry James, « Orgueil et Préjugés » de Jane Austen et bien sûr « Lolita » de Nabokov dont elle est une spécialiste. C’est cette dernière évocation qui ouvre le récit.

 • Quand arrive l’ordre de porter le tchador, Azar Nafisi  s’y refuse et se retrouve renvoyée à ses chères études. Vers la fin de la guerre Iran-Irak, elle se laisse convaincre de reprendre les cours sous le tchador mais dans une autre université, Allameh Tabatabai. C’est alors qu’elle a l’idée d’organiser chez elle un séminaire avec ses étudiantes préférées, celles qui auront le privilège de dialoguer sur « Lolita ». Les étudiantes sont fascinées par les héroïnes et leurs aventures amoureuses et le séminaire crée des relations plus intimes entre elles toutes. C’est à mon sens le point fort de ce livre (je ne suis pas amateur de tous les livres cités). Elles exposent leurs histoires de cœur, leurs rêves et plus encore leur colère contre les maris qui les battent, contre un régime qui a arrêté et torturé certaines d’entre elles. Un régime qui veut régenter jusqu’à l’imaginaire et le rêve, d’où cet enfant qui répète à ses parents « Je fais des rêves illégaux » ! Un régime qui n’aime pas cet esprit critique que l’enseignante cherche à faire acquérir à ses étudiantes, elles qui, lors des premiers contrôles, se croyaient tenues de réciter les cours par cœur.

À l’Université de Téhéran, les cours d’Azar Nafisi provoquent des accrochages incessants du fait des “étudiants islamistes” qui reprochent aux livres étudiés leur immoralité ou leur provenance d’un Occident décadent. Ceci pousse l’auteur à organiser — dans un beau détournement pédagogique ! — un procès politique : “République d’Iran contre Gatsby le Magnifique” ; mais pour elle c’est une “victoire à la Pyrrhus” car peu après elle se retrouvera « inadéquate » dans ce premier poste universitaire. Peu après l’établissement de la République islamique vint le temps de la guerre Iran-Irak (septembre 1980-juillet 1988). « Cette guerre est pour nous une bénédiction ! » proclame Khomeiny sur les affiches qui envahissent le pays en attendant que les raids aériens irakiens n’apportent la mort jusque dans Téhéran.

«  A la suite du premier raid, notre capitale surpeuplée et polluée était devenue une ville fantôme. Ses habitants s’étaient pour la plupart réfugiés dans des lieux moins hostiles (…) plus du quart de la population, y compris de nombreux représentants du gouvernement, l’avait quittée. Une nouvelle plaisanterie faisait le tour de la ville : cette guerre était la politique démographique et environnementale la plus efficace que le régime ait mis en place. »

La paix revenue, l’ayatollah Khomeiny mourut le 3 juin 1989. Beaucoup croyaient à l’imminence de grands changements. La petite fille de l’auteur aussi qui regarde par la fenêtre et crie : « Maman, maman, il n’est pas mort ! Les femmes portent encore le foulard ! »

• Plus qu’un savant essai, ce récit nous  éclaire de l’intérieur sur l’Iran, sur les crimes quotidiens du régime islamiste qui a confisqué la révolution iranienne, qui a établi une dictature policière et réprimé toute opposition, qui fait régresser le droit des femmes, qui exclut les bahaïs de la société des vivants et des morts en détruisant leurs cimetières, qui fait maquiller en accidents de la circulation l’assassinat d’éditeurs ou d’écrivains comme Saidi Sirjani. Ces témoignages convergent sur la question de l’exil développée dans la 4è partie. Face aux dictatures les écrivains se posent toujours la question de l’exil, émigration ou exil intérieur comme « le magicien », un professeur qui a rompu avec l’Université islamiste et refusé toute publication, et en qui l’auteur trouve son mentor. Finalement, en juin 1997, Azar Nafisi émigre en famille vers les Etats-Unis. Ses étudiantes du séminaire la suivront pour la plupart, en Angleterre, au Canada, en Californie, au Texas. Belle « fuite des cerveaux » ! L’auteur qui enseigne maintenant à l’Université John Hopkins vient de publier un nouvel opus intitulé « Mémoires captives » traduit en français en 2009 et chroniqué dans Le Monde par Lila Azam Zanganeh. 

 

•  Azar NAFISI Lire Lolita à Téhéran

Traduit de l’anglais par Marie-Hélène Dumas. Plon, 2004, 387 pages. Et 10/18.

 

Tag(s) : #IRAN, #FEMINISME
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